Les Echos / Vers un tournant interventionniste de la politique de concurrence ?

Papier publié dans Les Echos, le 17 juin

LE CERCLE – La France et l’Europe rêvent de constituer leurs propres champions nationaux, observe Erwan Le Noan, associé du cabinet Altermind. L’idée de confier à la puissance publique le soin d’insuffler la bonne dose de concurrence fait son chemin sur le continent.

Les programmes des trois partis arrivés en tête aux élections européennes en France remettaient tous en cause la politique de concurrence de la Commission, exigeant de l’amender pour pouvoir mener une politique « industrielle ». Paradoxalement, alors qu’aux Etats-Unis les activistes des deux bords (républicains et démocrates) se retrouvent pour contraindre, voire démanteler, leurs champions nationaux, la France rêve d’en constituer.

Cette vision contemporaine du droit de la concurrence est guidée par un mouvement de balancier en faveur d’une intervention de l’Etat. A Washington,  les opposants aux Gafa rêvent de modeler le marché, à l’image de ce qui leur semble devoir être une économie concurrentielle ; en Europe, la promotion des géants traduit le rêve politique de réaliser des ambitions industrielles.

Une double logique

Les dernières prises de position de l’administration française, à travers une note du Conseil d’analyse économique et un rapport de l’Inspection générale des finances, en sont une illustration. Les deux défendent, à quelques nuances près, une double logique : protection extérieure et intervention intérieure.

Constatant l’échec de la régulation commerciale internationale à travers l’OMC, les rapports prônent une voie non coopérative : dans l’idée de « consolider […] la défense des intérêts européens », ils proposent notamment d’accroître l’effectivité des principes de réciprocité et d’encadrer l’accès des entreprises étrangères aux marchés publics. A l’intérieur du marché, leur logique est double : régulation des marchés d’une part, promotion de champions européens, d’autre part.

Les propositions en matière de contrôle des concentrations sont, à ce titre, révélatrices. On promeut, pour permettre l’autorisation d’un rapprochement problématique, le recours à des mesures dites « comportementales » par lesquelles les autorités de concurrence sont conduites à surveiller le comportement sur le marché de l’entreprise issue de l’opération. On défend également  l’instauration d’un contrôle « ex-post », qui permettrait demain à l’administration de se saisir de toute concentration après sa réalisation (alors qu’aujourd’hui l’autorisation intervient « ex-ante ».

Deux pistes

Pour favoriser par ailleurs l’émergence de grands opérateurs européens, la France envisage deux pistes : une voie concurrentielle et une autre, étatique. Par la seconde, elle prône un soutien accru à l’innovation à travers une activation plus ample des subventions et une « combinaison d’investissements dans les technologies et les infrastructures ». En ce sens, elle renoue avec une approche classique de la politique industrielle qui confie à la puissance publique le soin de faire émerger les secteurs et opérateurs leaders de l’économie à venir.

Par la première, elle encourage la Commission à prendre mieux en compte les évolutions des marchés et les gains potentiels des opérations de rapprochement. Cela induit une inflexion dans l’analyse traditionnelle : envisagés pour leur apport à l’économie et leur capacité à affronter leurs rivaux internationaux, ces « champions » seront autorisés dans une perspective pro-concurrentielle.

L’Europe pourrait promouvoir la constitution de leaders en instaurant les conditions favorables à leur création.

Ces initiatives sont révélatrices d’une volonté de confier à la puissance publique, qui en aurait la capacité, la mission d’insuffler (ou modérer) la bonne dose de concurrence dans l’économie.

A long terme, d’autres pistes mériteraient d’être explorées. L’Europe pourrait ainsi promouvoir la constitution de leaders en instaurant les conditions favorables à leur création (par un enseignement supérieur de meilleure qualité), leur développement (par une fiscalité et une réglementation plus compétitives) et leur stimulation (par un abaissement des barrières réglementaires à l’entrée des marchés).

Cette voie permettrait aux meilleurs de grossir tout en étant sans cesse remis en cause par la menace de nouveaux entrants innovants. Elle serait permise par une mise en retrait, plutôt qu’en avant, de l’Etat. Elle autoriserait peut-être ainsi de réconcilier concurrence et champions industriels.

Erwan Le Noan est associé du cabinet Altermind.

Publicité

Répondre / Commenter

Entrez vos coordonnées ci-dessous ou cliquez sur une icône pour vous connecter:

Logo WordPress.com

Vous commentez à l’aide de votre compte WordPress.com. Déconnexion /  Changer )

Photo Facebook

Vous commentez à l’aide de votre compte Facebook. Déconnexion /  Changer )

Connexion à %s

Créez un site Web ou un blog gratuitement sur WordPress.com.

Retour en haut ↑

%d blogueurs aiment cette page :