J’ai répondu à quelques questions du site Atlantico.
Atlantico : En quittant LR, Valérie Pécresse soulignait la nécessité de « construire une droite moderne ». En terme de philosophie politique, de quoi relève le modernisme pour la droite ? Valérie Pécresse apporte-t-elle une forme de nouveauté dans ce concept ?
Erwan Le Noan : Il y a quelques années, Alain Finkielkraut avait publié un ouvrage « Nous autres, modernes » et, à peu près à la même période, Antoine Compagnon avait écrit un superbe livre sur les « Antimodernes ». Je ne suis pas philosophe, ni un spécialiste de la pensée politique, mais ces deux ouvrages montraient toutes les revendications et tous les tiraillements qui accompagnent la modernité. La « Modernité », c’est une période historique – aux contours peut-être incertains. C’est aussi un état des êtres et de l’esprit, qui place l’individu au centre de la pensée, s’affranchissant de transcendances traditionnelles et devant affronter, dès lors, un enjeu existentiel majeur.
De son côté, Marlène Schiappa publiait une tribune dans les colonnes du Journal du Dimanche où elle réaffirmait la disparition des partis traditionnels, de l’ancien monde, et où le progressisme est le nouveau modernisme. Progressisme qu’elle traduisait par l’expression suivante: faire passer le pays avant le parti. De quoi relève cette conception de la modernité ? Le progressisme est-t-il synonyme de modernité ?
Erwan Le Noan : Le « progressisme » est probablement différent du « modernisme » : dans la notion de progressisme, il y a l’idée que l’histoire a un sens, l’idée qu’il existe une notion de « progrès » qui n’est pas que matériel mais aussi moral, et qu’il est « bien » et « mieux » de soutenir et encourager ce mouvement. Dans le progressisme, il y a en somme l’idée qu’il existe un camp du bien, plus éclairé que les autres, chargé de montrer la lumière aux obscurantistes.
Cela paraît éminemment discutable. On peut parfaitement être en faveur d’un mouvement d’extension des droits individuels, sans pour autant devoir se placer dans la position de nier à ses adversaires leur intelligence ou leur considération morale. On peut aussi parfaitement être conservateur en soutenant ses analyses et convictions par des raisonnements construits et intellectuellement robustes.
L’utilisation de ces termes tient probablement ainsi, on le perçoit, du débat politicien. Se déclarer moderne ou progressiste, c’est une façon de dire que ses adversaires ne le sont pas et même sont réactionnaires, passéistes, dépassés. En outre, si le progressisme est défini comme vous le proposez, l’alternative est limitée : rejoindre le parti présidentiel ou être voué aux gémonies. La ficelle rhétorique est un peu grosse – elle est d’ailleurs probablement maladroite.
Avoir recours à ces qualificatifs est un peu dommage car, en démocratie, il faut accepter que ses adversaires défendent des opinions légitimes ; sinon on en fait des « ennemis », ce qui ne laisse pas de place au compromis : si on peut travailler avec un adversaire, on combat un ennemi jusqu’à sa défaite (ou sa victoire).
Finalement, en rapidement détaillant les différences traditionnels entre les Anciens et les Modernes en politique, qui selon vous peut réellement incarner le renouvellement du modernisme dans le paysage politique actuel ?
Erwan Le Noan : La question pourrait plutôt être de savoir qui, aujourd’hui, a la meilleure doctrine pour répondre aux enjeux de notre époque. La réponse n’est pas facile car elle implique de s’accorder sur ce que sont ces enjeux.
Est-ce de défaire le populisme ? Et de quelle façon ? Il me semble que c’est une priorité, mais purement ‘tactique’ si elle n’est pas portée par une vision de long terme. Faire reculer le populisme est sain pour nos démocraties parlementaires, mais pour faire quoi ? Si l’enjeu est juste de le battre dans les urnes, alors effectivement cela peut avoir du sens de faire un parti progressiste qui s’oppose à eux. Mais est-ce que cela porte un projet de société ?
Est-ce de préparer le renouvellement de notre modèle économique, politique et social ? (ce qui aura pour effet de faire reculer le populisme). A ce stade, personne ne semble réellement répondre à cet enjeu : peu de partis et de responsables politiques proposent une vision, un projet de transformation. Il suffit de voir les résultats aux élections : ils s’effondrent tous, faute d’une offre robuste – les seuls qui résistent le font par défaut, en agglutinant les colères ou en servant de digue face à elles. De manière générale, les solutions qui sont proposées sont rarement originales et s’inscrivent toutes dans l’idée qu’il faut préserver le système actuel, en l’amendant à la marge. Il n’est pas certain que ce soit très moderne, ni très prometteur.
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