Voici le texte de ma chronique du 15 avril
Dans La Cité de la peur, film culte de 1994, un assassin tente d’expliquer qu’« on peut tromper une fois mille personnes, mais on ne peut pas tromper mille fois une personne ». C’est en quelque sorte le défi du gouvernement maintenant que s’achève le grand débat : il n’a pas le droit à l’erreur.
Les premières étapes de la restitution ont pu laisser sceptique : de grandes banalités ont été présentées comme des révélations. On y apprend (ô surprise !) que les Français sont excédés par la fiscalité et en colère devant les échecs du marché du travail. Et pour cause : les recettes publiques dépassent de façon quasi-permanente 50% du PIB depuis 1995 ; les dépenses publiques depuis 1982 (trente-sept ans !). Quant au chômage des jeunes (15-24 ans), il est supérieur à 9 % depuis quarante-deux ans, dont trente-sept années au-dessus de 15 %. Le dernier actif de 15 ans à avoir connu un chômage pour son âge inférieur à 9 % arrive aujourd’hui à la retraite !
Le gouvernement se retrouve ainsi face au même impératif que ses prédécesseurs : délivrer ce qu’il avait promis pour rétablir le pays. L’enjeu est de savoir s’il peut y parvenir dans le contexte politique, social et économique actuel. Le défi est énorme.
D’un point de vue politique, les comparaisons historiques et internationales indiquent que pour réussir une réforme, il faut avoir préparé l’opinion, lui proposer un projet collectif, bénéficier d’un mandat clair et disposer d’une majorité robuste (Le Noan, Montjotin, Gouverner pour réformer, Fondapol). Ces conditions sont délicates à réunir et se consolident généralement au moment des élections nationales, qui permettent aux électeurs d’exprimer un choix. Le grand débat s’est inscrit dans une logique différente, de réaction et de consultation. Le gouvernement n’en tire qu’une légitimité restreinte pour agir.
Coalition. Dans le même temps, la société se gangrène progressivement. Les signaux faibles de délitement du corps social se multiplient, d’incivilités malveillantes en violences gratuites. Ces blessures, longtemps ignorées, remontent soudainement, submergeant ceux qui les portent et confrontant ceux qui les reçoivent à un déferlement irrationnel. Une fois la soupape ouverte, la vapeur brûlante ne s’arrête pas : le gouvernement devra être prudent.
Le contexte économique est inquiétant lui aussi : les dettes publiques croissent, l’inflation revient. Dit autrement, l’action politique perd des marges de manœuvre – qui étaient déjà faibles – alors que le pouvoir d’achat des consommateurs va se réduire ! En conséquence, les tensions sociales vont croître. Le gouvernement avancera sans filet.
La voie semble donc très étroite pour l’exécutif : l’économie lui impose d’agir vite et fort, la société lui demande de l’attention alors qu’il en avait mal mesuré les blessures, la politique le laisse sur une ligne de crête qui s’effrite. Ni un homme, ni un parti ne peuvent suffire à relever ce défi. La voie d’une coalition de forces politiques (non d’individus, ni de fonctionnaires) pourrait être explorée. La priorité de la majorité devrait être de permettre les conditions de ce rassemblement de tous les réformateurs – en ayant la modestie d’écouter les avis divergents. Celle de l’opposition parlementaire de se donner pour objectif de reconstruire la France, plutôt que ses ambitions propres. Malheureusement, ni l’une ni l’autre ne le souhaite.
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