Voici le texte de ma chronique du 8 avril 2019
Le 2 avril, le ministre de l’économie discutait du projet de taxe Gafa, qui vise à créer une fiscalité sur les revenus publicitaires des opérateurs numériques, devant la Commission des finances de l’Assemblée. Les débats étaient révélateurs de la façon dont est conçue la fiscalité et de celle dont sont compris les mécanismes économiques contemporains.
A une question de Charles de Courson qui lui faisait remarquer que « la taxe serait payée par le consommateur final et (…) par les petites entreprises », le ministre a opposé que l’hypothèse d’« un renchérissement des coûts pour le client, largement avancé par certains, est irrecevable, tout simplement parce que c’est faux ». Voilà qui mérite un peu d’attention.
D’abord, parce que l’argumentaire gouvernemental semble, involontairement ou non, confus. Les consommateurs finals, c’est-à-dire les internautes, ne sont pas les clients des Gafa : ils ne paient rien (c’est un slogan, contestable, de ceux qui les critiquent : « si c’est gratuit, c’est que vous êtes le produit »). Le modèle économique des géants d’Internet visés est de mobiliser les données de leurs utilisateurs, qui profitent en contrepartie de services (dont ils raffolent visiblement puisqu’ils les utilisent en masse), pour monétiser des espaces publicitaires, qu’achètent les annonceurs (les grandes marques). Ce sont ces derniers qui sont, en réalité, les clients des grands opérateurs digitaux.
Ensuite, parce qu’il s’agit là d’un argument novateur : la France aurait ainsi inventé la première taxe qui n’a aucun effet économique. Jusqu’à maintenant, il était admis que lorsqu’elle subit une hausse de ses coûts (comme une augmentation de la fiscalité), une entreprise la répercute sur ses clients, soit directement en augmentant ses prix, soit indirectement en diminuant à terme la qualité de ses services (par exemple parce que l’argent qu’elle aurait investi dans l’innovation a été détourné vers les impôts). Le Gouvernement affirme que cette fois, ce ne sera pas le cas…
« Le Gouvernement répète régulièrement que la dépense publique manque d’efficacité… semblant indiquer que non seulement l’administration ne manque pas de moyens mais qu’en plus, si elle accroît ses prélèvements, ceux-ci ne seront pas utilement mobilisés »
L’argument serait recevable si, en contrepartie, on estimait que la puissance de négociation des clients et consommateurs est telle que les Gafa, soumis à leur pression, préféreraient réduire leurs marges. Cela sera peut-être le cas. Mais ce serait alors profondément contradictoire avec le discours selon lequel les Gafa seraient des opérateurs économiques trop puissants : soit les plateformes sont des « monopoles » et alors elles répercuteront d’autant plus facilement la taxe, soit elles encaisseront le coût du nouvel impôt et alors ce sera un indice qu’elles sont plus soumises à la pression concurrentielle qu’on ne le dit !
Bien sûr, les recettes fiscales ainsi collectées pourront financer des services publics. Le fait est cependant qu’en France ceux-ci sont déjà bien pourvus (taux de prélèvements obligatoires le plus élevé de l’OCDE) et que le Gouvernement, promettant une réforme de l’Etat qui peine à poindre, répète régulièrement que la dépense publique manque d’efficacité… semblant indiquer que non seulement l’administration ne manque pas de moyens mais qu’en plus, si elle accroît ses prélèvements, ceux-ci ne seront pas utilement mobilisés…
L’argumentaire économique autour de la taxe Gafa souffre donc d’une grande fragilité. La raison en est simple : ce projet est motivé par des considérations purement politiques. Ce n’est pas illégitime en démocratie. Mais le nier conduit à décrédibiliser la parole publique.
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