Texte paru le 21 janvier dans Les Echos
Début janvier, le ministre de l’Economie, Bruno Le Maire, dénonçait le traitement de la fusion Alstom-Siemens par la Commission européenne, considérant que celle-ci s’apprêtait à commettre « une erreur économique, mais aussi une faute politique ».
La remarque révèle non seulement un retour en force du débat entre la politique industrielle et la politique de concurrence, mais également une mauvaise compréhension du droit de la concurrence.
Régulateur administratif
Lorsqu’elle examine un projet de concentration entre entreprises, la Commission européenne intervient comme un régulateur administratif. Sa mission et sa compétence sont encadrées par le droit (les textes de l’Union européenne, ses décisions antérieures et celles de la Cour de Luxembourg). Elle ne saurait donc commettre de « faute politique », car la politique n’entre pas dans son champ, et fort heureusement.
Cela n’interdit évidemment pas un débat sur les objectifs du droit de la concurrence et leur conciliation avec d’autres priorités légitimes comme la préservation de l’emploi ou la politique industrielle.
Le droit français a inventé sa propre solution : à l’issue de l’examen d’une fusion par l’Autorité de la concurrence, le ministre de l’Economie dispose depuis 2015 d’un pouvoir dit « d’évocation ». Il peut, de sa propre autorité, « statuer sur l’opération en cause pour des motifs d’intérêt général autres que le maintien de la concurrence », qui « sont, notamment, le développement industriel, la compétitivité des entreprises en cause au regard de la concurrence internationale ou la création ou le maintien de l’emploi » (article L430-7-1 du Code de commerce). Il l’a d’ailleurs fait, une seule fois à ce jour, en 2018, pour permettre le rachat du groupe Agripole (William Saurin) sans restriction.
D’autres sujets sur la table
D’autres sujets doivent pouvoir être également mis sur la table, qu’il faut analyser méthodiquement. Une première question est de savoir si les autorités de concurrence font un « bon » usage des outils dont elles disposent, notamment en matière de contrôle des concentrations. De nombreuses entreprises leur reprochent d’avoir un regard trop statique, qui prend insuffisamment en compte les développements rapides de l’innovation. Les régulateurs répondent généralement que, dès lors qu’elles peuvent étayer leur choix par des éléments de preuve robustes, elles font évoluer leur pratique – et le font parfois : en 2016, l’Autorité de la concurrence a ainsi su intégrer la pression concurrentielle du commerce en ligne lorsqu’elle a examiné le rapprochement de Fnac et Darty.
Une autre question est celle des objectifs du droit de la concurrence. La pratique, inspirée de la recherche académique, en a imposé un : le surplus du consommateur, c’est-à-dire le gain qu’il retire d’un équilibre économique, qui est régulièrement remis en cause. On reproche ainsi aux autorités européennes de ne pas suffisamment prendre en compte celui des producteurs – à l’inverse de la justice américaine qui l’a notamment fait prévaloir pour autoriser le rapprochement entre AT & T et Time Warner.
En décembre 2018, 19 Etats membres ont plaidé auprès de la Commission européenne pour une meilleure prise en compte des objectifs industriels, afin de permettre à l’Europe de mieux lutter dans la compétition internationale. Cette prise de position marque un mouvement d’évolution du contexte de la politique de concurrence. Les élections de mai 2019 et le renouvellement de l’administration européenne qui s’ensuivra pourraient permettre de le traduire dans le droit. La Commission européenne sera, alors, en charge de l’appliquer – mais d’ici là, il est probablement plus sain, dans un Etat de droit, qu’elle se limite à sa compétence.
Erwan Le Noan est partner du cabinet Altermind, spécialiste de concurrence & régulation.
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