Voici le texte de ma chronique du 19 novembre.
Considérant « qu’il y aura inévitablement à l’avenir davantage de régulation », le Président de la République a proposé aux opérateurs numériques de construire ces nouvelles normes de manière conjointe. La méthode est intéressante : elle brise la verticalité pour favoriser une logique partenariale. Elle l’est également par ses motivations.
Les économistes considèrent généralement que la régulation est justifiée en présence de « défaillances de marché », comme des « externalités » : par exemple lorsqu’une entreprise pollue, il est plus efficace d’imposer une norme qui l’oblige à prendre en charge ce coût, plutôt que chaque citoyen passe un contrat d’indemnisation avec elle.
Dans son intervention cette semaine, le Président n’a pourtant pas évoqué de motif économique. Au contraire, il a été très explicite sur la motivation politique de son appel à réguler la data digitale, dénonçant qu’« on accepte que des acteurs, parce qu’ils sont économiquement dominants (…) seraient mieux en droit qu’un gouvernement, vis-à-vis de ses propres citoyens (…) de dire quelle est la bonne relation à ces données ?! ».
La demande politique de régulation semble avoir deux sources : la gestion du risque et la fiscalité.
La demande de protection contre les aléas de l’existence est un moteur puissant de la production de normes. Elle peut traduire un besoin de redistribution, que l’Etat-Providence a capté : encouragée à s’angoisser de l’automatisation, une partie des citoyens exprime une revendication diffuse de nouvelles protections sociales.
La défiance est un autre risque que la régulation veut réduire : dans une société où les citoyens ne peuvent se connaître tous, les institutions servent de tiers de confiance. L’Etat, par ses lois et sa police, souhaite garantir une relative confiance spontanée entre concitoyens, assurer le bon déroulement des opérations démocratiques, ou défendre un processus économique équitable. La demande de régulation du numérique traduit ainsi une défiance vis-à-vis d’une nouveauté qui déstabilise par la rapidité et l’ampleur de ses bouleversements, et qui affecte potentiellement la démocratie.
L’autre moteur de la régulation, c’est la fiscalité : si l’Etat régule, c’est pour taxer. Pourquoi refuser qu’un particulier ne devienne chauffeur temporaire, si ce n’est parce qu’il n’entre alors dans aucun statut qui permettrait d’imposer ses revenus ?
Dans une société qui taxe tout, échapper à l’impôt devient insupportable pour ceux qui le subissent. Tocqueville, analysant l’Ancien Régime, désignait « le plus odieux de tous ces privilèges, celui de l’exemption d’impôt ». Il ajoutait qu’il importait peu que « l’inégalité, quoique grande, était, il est vrai, plus apparente que réelle ». Cette dynamique reste à l’œuvre aujourd’hui, en dépit parfois des raisonnements économiques, pour exiger une taxation croissante du digital.
Le retour en force de la régulation, particulièrement à l’égard du numérique, est ainsi une conséquence du sentiment diffus de perte de contrôle des démocraties occidentales : c’est une réponse politique à une demande d’affirmation de la souveraineté – que les entreprises digitales ont souvent manqué d’anticiper.
La « régulation coopérative » proposée par le Président est une réponse à cette requête. Elle peut constituer une solution partenariale stimulante qui préserve le dynamisme économique et répond aux revendications populaires croissantes. Elle mérite d’être explorée !
Texte paru dans L’Opinion
Photo by Clint Adair on Unsplash
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