Voici le texte de ma chronique du 24 septembre 2018 dans L’Opinion.
Ce lundi, le gouvernement présente son budget pour 2019. En filigrane, depuis quelques semaines, monte une inquiétude : que la maîtrise des dépenses publiques et la réforme de l’Etat ne soient toujours pas là. L’héritage est lourd : l’histoire de la dette publique est celle d’une fuite incontrôlée. En 1978, il y a 40 ans, elle représentait 21 % du PIB, puis 33,6 % en 1988, 61,4 % en 1998, 68,8 % en 2008 et près de 98 % en 2018 !
De mandat en mandat, les discussions sur le sujet sont devenues purement techniques : on touche des paramètres ici, on modifie des critères d’attribution là. Les oppositions crient systématiquement : chaque euro de baisse est une souffrance insupportable, un coup porté à la dignité de l’action publique. La vision politique ne transparaît plus depuis longtemps sur le rôle et la place de l’Etat. La dépense publique est subie, reconduite sans marge d’investissement. Elle gangrène la société. Et aujourd’hui, elle menace la République.
La dépense publique menace la liberté. La liberté économique d’abord, en prenant la place de l’initiative privée dans un grand nombre de domaines du marché. Elle menace la liberté politique ensuite : dans une démocratie, un financement collectif croissant implique une fiscalité accrue et a pour corollaire un contrôle étendu des citoyens pour surveiller l’usage qui est fait des deniers publics. Si la collectivité paie, elle est légitime à examiner la façon dont le malade fume, dont le médecin soigne, dont l’entrepreneur use des dispositifs fiscaux. Un budget public qui croît, c’est la liberté qui recule.
La société est égalitaire, mais elle est figée et ceux qui sont en bas de l’échelle n’ont aucune chance de monter
Société bloquée. La dépense publique menace l’égalité. Reconduite sans être interrogée, elle génère des rentes. Sans surprise, et généralement de toute bonne foi, ceux qui en bénéficient ne veulent pas les voir remises en cause. La réforme est impossible. La société se bloque : les moyens accaparés par les uns ne bénéficient pas aux autres. Pour rendre la situation acceptable, l’Etat répartit les places : maintenue entre deux bornes au nom de la redistribution, la société est égalitaire, mais elle est figée et ceux qui sont en bas de l’échelle n’ont aucune chance de monter. Il suffit de voir ce qu’est devenue l’Education nationale, dont les moyens ne cessent de croître et les performances se dégrader, au détriment des plus fragiles…
La dépense publique menace la fraternité. En remplaçant les liens locaux au profit d’une solidarité verticale, elle a affaibli le sens des responsabilisés. La canicule ? On accuse l’Etat, sans penser prendre soin de son propre voisin ! Pire, incapable de se réformer, l’Etat s’est trouvé fort dépourvu quand la crise et de la mondialisation furent venues. Dans l’opinion publique s’est répandu le sentiment de son impotence et de son inefficacité : il n’a plus de quoi faire grandir le gâteau. Dès lors, chacun se mobilise pour sauver les miettes qui lui reviennent.
Bien sûr, la dépense publique contribue au financement des infrastructures. Sans doute, elle participe de la solidarité. Evidemment, elle finance les écoles et les hôpitaux. Mais le processus qui la produit, qui commence dans une restriction du droit de propriété et finit dans un contrôle des libertés individuelles n’est pas anodin. La société peut légitimement faire le choix de cette voie, mais encore faut-il qu’elle en ait pleinement conscience. Augmenter la dépense publique n’est pas sans conséquence pour la liberté.
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