Un entretien avec le site Atlantico
Atlantico : Après une année à l’Elysée, comment définir le macronisme en observant celles et ceux à qui Emmanuel Macron tient tête, à qui il résiste ostensiblement, ceux qu’ils flattent sans toujours leur céder, comme cela a pu être le cas avec Donald Trump, ou à ceux à qui il n’oppose rien, comme cela peut être dit pour Angela Merkel ?
Christophe de Voogd : En politique étrangère, le macronisme est clairement et explicitement un retour à l’héritage gaullo-mittterandien, marqué par le premier quant au style et par le second quant au fond. L’héritage gaullien se mesure dans le côté tous azimuths de la politique menée, qui dès les premiers mois a établi un dialogue au sommet avec la Russie, Les Etats-Unis et l’Allemagne. Après le quinquennat Hollande, où la France s’est tue sur tous les fronts, cet activisme nouveau forme un contraste heureux. Mais le contenu de cette politique est davantage mitterrandien : engagement européen fort et relance de l’Europe, sympathie atlantique marquée (mais contrariée évidemment par la personnalité de Trump).
On ne peut que saluer le tour de force de la visite aux USA, où Emmanuel Macron a fait le maximum de ce qui était possible, en sachant jouer sur l’égo de son partenaire et en exploitant les très rares ouvertures. Quant à Angela Merkel, je ne vois vraiment pas sur quoi il lui cède : dans le dialogue, le Président français est plutôt en bonne posture avec la grande coalition, dont le programme, on ne le rappelle pas assez, contient de nombreuses mesures très « macron-compatibles » (fonds d’investissement public, économie de la connaissance, lutte contre le dumping social, renforcement de la zone euro). Mais il faudra bien un compromis et l’on voit mal pourquoi les Allemands s’aligneraient sur toutes les positions des Français, toujours suspects et non sans raison de laxisme budgétaire et de voracité fiscale.
Erwan Le Noan : Le macronisme est une forme de réformisme, ancré dans un projet empreint d’une très forte rationalité et d’une appréhension technique de la société (une forme de technocratisme centralisateur). Ses opposants sont les populismes, les élans irrationnels de la politique. Son talent est de savoir s’en rapprocher, au moins médiatiquement, pour montrer qu’il peut les contrôler voire les dominer.
Dans une même perspective mais concernant la politique intérieure, comment définir le macronisme en fonction de ces mêmes postures, ceux à qui il tient tête, ceux à qui il cède sur le fond, ou ceux qu’il flatte sans leur céder ? Quels sont les exemples les plus importants permettant de dresser un profil du macronisme sur de telles bases ?
Erwan Le Noan : L’analyse me semble être la même en France qu’à l’étranger. Emmanuel Macron fait œuvre de pragmatisme absolu, avec finesse. Il a su, par exemple, s’allier avec le Modem, pour gagner, tout en les ‘tuant’ politiquement dès qu’il en a eu l’occasion.
Il a plusieurs coups d’avance sur ses adversaires : jusqu’à maintenant, il les emmène où il veut.
L’une de ses forces, c’est aussi qu’il identifie parfaitement les faiblesses de ses opposants : il a su savamment mener la division au sein de la Droite, alimentant ses divergences idéologiques et nourrissant les ambitions individuelles.
Dans cette découverte progressive de la réalité du macronisme, quelles ont été les plus grandes surprises en comparaison de ce qui pouvait être attendu ? Comme la réalité du macronisme diffère-t-elle de celui de la campagne électorale ?
Christophe de Voogd : J’avoue ne pas avoir encore eu de grandes surprises, car le Président fait pour l’essentiel ce qu’il a promis, avec ses forces et ses faiblesses. Notamment en matière sociétale, qui n’est pas prioritaire pour Macron, où la ligne en matière de laïcité notamment demeure très floue et où le « en même temps » règne, comme on l’a vu avec la loi Asile et Immigration. En revanche, l’exercice très vertical du pouvoir l’emporte sur l‘approche horizontale qui était dans la promesse d’En Marche. La poursuite d’une forte dépense publique et de forts prélèvements, le caractère finalement limité de la plupart des réformes pourraient déboucher sur le risque qui menace toujours le saint-simonisme « réel » : l’évolution vers une technocratie autosatisfaite (et elle-même rentière du système). La force de l’étatisme français que rien jusqu’à présent ne vient remettre en question, ni dans le cœur véritable du pouvoir, ni dans les mesures adoptées, nous maintiendrait alors dans « l’ancien monde ». C’est, avec les défis sécuritaire et migratoire, l’autre grand enjeu décisif pour comprendre la signification et mesurer les chances de réussite du macronisme en action.
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