Voici le texte de ma chronique du 30 avril 2018
Dans une lettre aux syndicats de la SNCF dévoilée la semaine dernière, le Premier ministre a indiqué que l’Etat «reprendrait» bien la dette de l’entreprise ferroviaire à partir de 2020, soulignant que cette opération « demandera un effort supplémentaire des contribuables ».
Aussitôt, l’opposition Les Républicains s’est levée comme un seul homme, dénonçant une promesse cachée d’augmentation d’impôts, alors même que, quelques jours auparavant, le président de la République avait promis qu’il n’y aurait pas de hausse de la pression fiscale. C’était aller un peu vite en besogne : l’effort supplémentaire évoqué peut se traduire de plusieurs manières, dont une baisse des dépenses publiques consacrées à une autre politique, pour rembourser la dette accumulée. En somme, le gouvernement propose de déshabiller le citoyen Pierre pour habiller le cheminot Paul : c’est aussi cela, la redistribution !
Que l’opposition de droite fasse semblant de ne pas le percevoir, alors qu’elle s’inquiète à juste titre de la timidité du gouvernement en matière de rationalisation des finances publiques, est révélateur. Elle est prise en pleine contradiction et montre qu’elle ne semble pas avoir une réflexion très aboutie : en dénonçant une réorganisation de l’action publique comme une sanction à l’encontre des citoyens, elle crée des doutes sur sa propre capacité à concevoir la réforme l’Etat. Il ne lui suffit pas de proclamer qu’il faut rétablir une saine gestion de la SNCF, il faut aussi expliquer comment elle s’y prendrait et, puisque c’est toujours le nerf de la guerre, où elle trouverait l’argent pour le faire, qu’elle le prélève quelque part où l’économise ailleurs !
Edouard Philippe explique implicitement qu’il perçoit la réforme de l’action publique comme une série de sacrifices ; cela n’aidera probablement pas à emporter la conviction et l’enthousiasme des citoyens
Vision. Que le gouvernement fasse le choix de présenter cette réforme comme un coût pour la collectivité est également révélateur. Il avait commencé par expliquer la réforme de la SNCF comme étant motivée par un objectif comptable : dans ses premières interventions, il expliquait de façon très technocratique que s’il s’attaquait à la réforme ferroviaire, c’était pour assainir les comptes de l’entreprise nationale. Cela manquait de vision : pour être soutenue par l’opinion, une réforme doit être portée par un projet collectif (par exemple un service ferroviaire plus performant), et non par un tableau Excel de chiffres austères. Désormais, Edouard Philippe ajoute à cette argumentation une demande d’« effort » : ce faisant, il explique implicitement qu’il perçoit la réforme de l’action publique comme une série de sacrifices ; cela n’aidera probablement pas à emporter la conviction et l’enthousiasme des citoyens.
Le choix de cette «pédagogie» contestable est un peu dommage : les réformes du secteur public pourraient être présentées comme des opportunités pour rénover les services publics. Elles pourraient être l’occasion d’en proposer des versions plus efficaces, plus modernes, moins coûteuses au bénéfice de tous (par exemple en faisant appel au secteur privé lorsqu’il est plus performant, comme c’est déjà le cas dans maints secteurs !).
La phrase du Premier ministre a finalement un mérite majeur. Elle ramène dans le débat public une vérité trop oubliée en matière de services publics : ils ont un coût, même quand ils sont gratuits pour leurs «usagers». Elle rappelle aussi que la dette publique n’est jamais qu’un impôt différé. « There is no free lunch », disent les économistes : un jour où l’autre, il faut payer. Et à la fin, c’est toujours le contribuable qui ouvre son portefeuille !
Paru dans L’Opinion https://www.lopinion.fr/edition/economie/sncf-a-fin-c-est-toujours-contribuable-qui-paie-chronique-d-erwan-noan-148812
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