Voici le texte de ma chronique parue dans L’Opinion le 23 avril.
Le 18 avril, Laurent Wauquiez a présenté les propositions de son parti en matière d’immigration. Certaines sont intéressantes. Pour le reste, on y cherche souvent l’humanité (« ramener systématiquement dans leur lieu de départ les bateaux interceptés dans la Méditerranée ») et le sens de la nuance (« interdire à vie toute régularisation d’un étranger entré illégalement en France »). Le texte marque une rupture avec des traditions généreuses (« restreindre le droit du sol à la régularité du séjour des parents ») et même le programme récent de la droite (« restaurer la double peine »). Il y manque aussi la moindre référence à une vision économique de l’immigration.
L’immigration est pourtant un moyen d’accueillir en France une main-d’œuvre supplémentaire : le travail est l’un des facteurs de croissance. C’était ce qui motivait, il y a dix ans, le discours de Nicolas Sarkozy sur « l’immigration choisie », prenant exemple sur des pays comme l’Australie ou le Canada qui sélectionnent ceux qu’ils autorisent à venir s’installer chez eux, sur la base de formations ou de projets professionnels.
Ces talents peuvent être qualifiés ou non. Par exemple, selon Bercy, « 83 % des salariés détachés en France sont des ouvriers ». Faut-il s’en plaindre, alors que Pôle Emploivient à nouveau de montrer que les entreprises ne trouvent pas de charpentiers, régleurs, couvreurs, chaudronniers, tuyauteurs, etc… ? Sur ce sujet également, Laurent Wauquiez avait choisi de ramener le sujet culturel au premier plan, en voulant imposer la « clause Molière », qui exige que les salariés du BTP parlent français. En février 2017, il affirmait : « nous ne voulons plus de travailleurs détachés sur les chantiers financés par la Région ».
Opinion publique frileuse. Restreindre l’immigration économique, alors même que le pays en a besoin, c’est comme défendre la diminution du temps de travail. Au fond, le raisonnement est le même : le gâteau de la richesse étant limité, il faut soit le répartir en petites parts (les 35 heures) soit contenir le nombre de convives autour de la table (les barrières à l’immigration économique). Dans les deux cas, l’argumentation rate la solution : pour faire croître l’économie, il faut ajouter des ingrédients, dont le travail !
Evidemment, l’opinion publique semble frileuse. Elle perçoit dans l’immigration un risque social : dans un pays en état de disette budgétaire, un étranger qui entre est une menace supplémentaire de voir sa part de redistribution publique baisser. Dans cette hypothèse, l’urgence économique et sociale devrait être de réformer l’Etat Providence, pour le rendre plus efficace, pas de nous fermer des potentiels de croissance.
L’immigration est également perçue comme une forme de menace culturelle. Le sujet est important : une démocratie ne peut fonctionner sans une certaine cohésion des citoyens qui la forment : c’est pour cela, qu’à ce jour, aucune ne s’est dissociée de la forme de l’Etat-Nation (1). La France a des traditions qui, à l’inverse des Etats-Unis par exemple, ne font pas une place au multiculturalisme : la République est bâtie sur un processus qui transforme l’étranger en citoyen Français, aux mêmes droits juridiques que son voisin « de souche », en lui demandant d’intégrer un héritage partagé et de s’insérer dans un projet commun. Il est donc légitime et compréhensible que l’économie ne prime pas. Mais cela ne justifie pas de l’ignorer.
(1) Pierre Manent, La raison des nations, Gallimard, 2005