Voici le texte de ma chronique parue dans L’Opinion ce lundi 5 mars 2018
Le Salon de l’agriculture a été l’occasion de mesurer la défiance entre le gouvernementet le « monde rural ». La majorité s’évertue à la contenir et l’opposition à l’aviver, les uns sous-estimant ce que les autres exagèrent. Pour autant, que certains, parmi la « France périphérique », expriment l’impression d’être ignorés du pouvoir est un signal inquiétant. L’année 2018 s’annonce délicate pour l’exécutif : son élection a suscité un espoir, porté par ses promesses de « révolution », mais les changements attendus produiront des résultats au mieux incrémentaux, ce qui nourrit l’impatience. Cette tension économique est d’autant plus intense que le gouvernement a déserté le champ politique, ouvrant la voie à une opposition populiste.
L’euphorie née de l’élection de 2017 retombe un peu. Alors que les illuminations de la fête faiblissent, l’attention médiatique comprend que de nombreux citoyens n’y ont pas participé – sans y être toujours hostiles. Ils sont nombreux : s’il a réussi une extraordinaire performance, Emmanuel Macron n’a été élu «que» par 8,7 millions de voix au premier tour et 20,7 au second (sur 60 millions de Français). Il jouit d’une confortable majorité parlementaire, mais le résultat électoral n’a pas complètement transformé la réalité politique : les partis d’opposition sont peu crédibles, mais l’inquiétude identitaire, la peur du déclassement et la crainte d’être rejeté aux marges de la prospérité n’ont pas disparu.
En 2018, le gouvernement devra donc maîtriser l’impatience économique. Cela sera d’autant plus difficile que l’absence de message politique, c’est-à-dire de discours sur le ferment de ce qui fait la cohésion d’une société démocratique, est une opportunité pour l’opposition
Rationalité technocratique. Parlez crise identitaire, la majorité répond que le gouvernement met en place de nouvelles structures institutionnelles pour l’islam. Evoquez la crise du monde rural, elle promet que Matignon ira trois jours en province. Interrogez-la sur l’angoisse des Français, elle apporte généralement une réponse économique : en faisant baisser le chômage et relançant la croissance, elle se résoudra d’elle-même. On le souhaiterait. Mais c’est se méprendre : cette évacuation du politique hors du débat public, au profit de l’expertise et de programmes mus par la rationalité technocratique est ce qui a permis le succès de Trump et du Brexit, causé les difficultés d’Angela Merkel et fait chuter les sociaux-démocrates dans toute l’Europe.
Ce risque est d’autant plus émergent que sur le volet économique les résultats sont à la peine (comment pourrait-il en être autrement après dix mois de pouvoir ?). Le chômage ne peut avoir déjà baissé. La fiscalité n’a pas bougé. Et la bataille du pouvoir d’achat est mal engagée. Edouard Philippe avait promis d’en « redonner de manière tangible » ; mais le message n’a pas été parfaitement reçu : en février, la confiance des ménages a chuté (et pour cause, les salaires ont augmenté de façon absolument marginale !).
En 2018, le gouvernement devra donc maîtriser l’impatience économique. Cela sera d’autant plus difficile que l’absence de message politique, c’est-à-dire de discours sur le ferment de ce qui fait la cohésion d’une société démocratique, est une opportunité pour l’opposition. Elle l’a compris : Les Républicains s’en saisissent de façon caricaturale, en multipliant les dénonciations sans jamais rien proposer qui semble solide.
Ces constats sont à ce jour des signaux faibles, mais ils ne doivent pas être trop rapidement écartés : les difficultés du gouvernement et le manque de crédibilité de l’opposition préparent d’immenses défis démocratiques qui, ailleurs, ont fait le succès des populistes.
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