Voici le texte de ma chronique du 5 février 2018
Fin 2016, alors qu’il engageait sa campagne, Emmanuel Macron publiait Révolution. Depuis, la forme présidentielle a changé : le moi-soleil jupitérien a remplacé le président corrézien que poursuivaient les averses et qui attirait sur lui les tempêtes. Des réformes ont été votées : enfin, elles accélèrent des mouvements engagés lentement lors des précédents mandats ! Pour autant, la « rupture » avec le modèle d’Etat providence, instrument de redistribution et de contrôle de la société, n’est pas venue. En matière de réforme publique, Edouard Philippe avait d’ailleurs commencé par se perdre dans une intense modération technocratique. A l’Assemblée, en juillet, il déclarait : « Notre objectif n’est pas […] de baisser la dépense publique », mais de la maîtriser. Ainsi, le budget de l’Etat ne prévoit une baisse que de 1 600 postes en 2018 (sur 2,4 millions, soit 0,07 %).
Puis, le 1er février, le Premier ministre a fait quelques annonces intéressantes. La plupart s’inscrivent dans la continuité des projets trop timidement engagés jusqu’à maintenant : prime au mérite, incitation à la reconversion professionnelle, recours aux contractuels (tout cela rappelle l’esprit du rapport Silicani en 2008), etc. Le gouvernement propose de les accélérer avec énergie, pour atteindre 120 000 suppressions de postes (5 % des effectifs de l’Etat, 2,2 % des fonctionnaires en général). C’est une dynamique salutaire qui s’engage : aucune baisse de la dépense publique n’est possible si le nombre de fonctionnaires ne baisse pas.
S’il faut s’en féliciter, il reste des pistes à explorer.
Services publics. D’abord, le gouvernement parle réforme de l’Etat, mais pas des services publics. Il se demande comment rationaliser l’utilisation des moyens (c’est déjà énorme !), mais pas comment transformer par là même les prestations que la collectivité rend aux citoyens. Gérald Darmanin explique comment économiser quelques euros ; mais pas si, ni comment, les habitants des zones rurales bénéficieront demain de prestations de qualité. Il dit que des services seront restructurés, mais pas si, ni comment, certaines prestations pourraient être proposées par un secteur privé ou un univers numérique plus efficace et économe.
Ensuite, à ce jour, le gouvernement ne s’attaque pas au cœur des blocages : la caste des « grands corps » qui, passant de grandes directions publiques en grandes responsabilités privées, contrôlent de nombreuses décisions, dans une connivence silencieuse. Un rapport de l’ENA de 2015 montrait que 76 % des inspecteurs des finances font un tour dans le privé (un tiers y reste), comme 45 % des auditeurs de la Cour des comptes (20 % y restent) et 38 % de ceux du Conseil d’Etat (11,5 % y restent), soit considérablement plus que leurs camarades de l’ENA. Le gouvernement ne propose strictement rien de réel à leur sujet. La noblesse d’Etat reste protégée. Est-ce une pure coïncidence si le Président est inspecteur des finances et le Premier ministre conseiller d’Etat ?
Les annonces du gouvernement sur la fonction publique marquent une première étape dans la réforme de l’Etat. Elles sont révélatrices de son objectif : préserver l’Etat-Providence et ses structures. Elles le sont également de sa méthode : avant d’être élu, Emmanuel Macron avait promis de «disrupter» : il l’a fait dans sa conquête du pouvoir ; mais dans son action gouvernementale, le changement est incrémental. Il faut dire qu’en astronomie la révolution de Jupiter prend 11,8 années…
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