Voici le texte de ma chronique parue le 8 janvier dans L’Opinion
Le Président Macron a récemment annoncé un projet de lutte contre les « fake news » : « en période électorale, sur les plateformes Internet, les contenus n’auront plus tout à fait les mêmes règles ». Comme toute bonne intention, ce projet est un nouveau pavé pour l’enfer : il est historiquement redondant, juridiquement incertain et démocratiquement périlleux.
Se référer à l’histoire est utile pour prendre du recul : les « fausses nouvelles » ne sont peut-être pas une nouveauté radicale. N’alimentaient-elles pas la rumeur, la propagande et les libelles mensongers hier ? L’historien Robert Darnton rappelle qu’« on retrouve tout au long de l’Histoire l’équivalent des textes et tweets venimeux » (1).
Notre droit est également très riche. La loi de 1881 sur la liberté de la presse prévoit depuis son origine que « la publication ou reproduction de nouvelles fausses sera punie » si elle trouble « la paix publique ». C’est ainsi qu’en 1968, la Cour de cassation a confirmé la condamnation du Nouvel Observateur qui avait publié un papier relatif à une enquête sur la mort de Ben Barka, fausse information « de nature à produire sur le public une impression (…) vive » et « à faire naitre un doute sur la loyauté des pouvoirs publics » (2).
Le gouvernement propose aujourd’hui d’alourdir ce contrôle, en confiant un pouvoir immense au juge, qui pourra être saisi afin de « supprimer le contenu mis en cause, de déréférencer le site, de fermer le compte utilisateur concerné, voire de bloquer l’accès au site Internet ». Fera-t-on interdire le site qui défend l’extraterrestre de Roswell ou celui qui remet en cause pour raisons religieuses l’évolution darwinienne ? Au lieu de se préoccuper du légal, le juge deviendra l’arbitre de la vérité. Cette extension du contrôle de la liberté d’expression est inquiétante : au nom de la lutte contre la « fascination illibérale », la France va promouvoir une nouvelle forme de censure, particulièrement dans les moments les plus intenses de la vie démocratique !
Dans une démocratie, les citoyens devraient être libres de croire ce qu’ils veulent. Que l’Etat prétende les accompagner, comme s’ils étaient immatures, est révélateur d’un paternalisme malvenu. La théorie qui consiste à expliquer le succès des sites « alternatifs » par la rustrerie des citoyens fait l’impasse sur le fait qu’ils sont en réalité des consommateurs plutôt « éclairés » : les sondages montrent que Français et Américains se méfient des informations qui circulent sur les réseaux sociaux et que c’est aux sites des journaux de référence qu’ils accordent leur principale confiance, valorisant leurs marques (3).
Les « fake news » ne sont ainsi pas révélatrices d’un problème de demande, mais d’offre : d’offre politique trop peu séduisante, d’offre médiatique trop peu attrayante. Celles-ci doivent se renouveler en valorisant l’information de qualité : les labels de « garantie » commencent d’ailleurs à se développer pour séparer progressivement le bon grain de l’ivraie. C’est un processus long, probablement exigeant et douloureux, mais il sera bien plus efficace que la régulation et la sanction qui risquent de donner à un prochain gouvernement moins « progressiste » les armes juridiques pour réaliser un programme néfaste.
(1) Le Monde, février 2017 ; (2) Cass, crim., 26 juin 1968, pourvoi n°68-90074 ; (3) OpinionWay, octobre 2017 ; Pew Forum, octobre 2014 ; Ipsos, juin 2017
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