Voici le texte de ma chronique parue le 4 décembre dans L’Opinion
Le 14 novembre, le député (LR) Guillaume Peltier dénonçait « l’Europe ultralibérale ». Deux jours après, c’est Laurent Wauquiez qui attaquait la Commission, « même pas foutue de poser la question de la rupture de concurrence que représente Google ». Selon lui, qui semble ignorer que Bruxelles est probablement l’autorité la plus offensive à l’encontre des GAFA [Google, Apple, Facebook, Amazon], la politique de concurrence serait une « folie, qui a été poussée dans une suridéologie ». Ce discours qui consiste à faire du droit communautaire le symbole d’un capitalisme sauvage est un contresens parfait.
Le droit de la concurrence européen n’est pas le fruit d’une adoration fanatique pour le marché ; au contraire, il incarne une forme d’interventionnisme poussé dans l’économie. La logique même de la régulation concurrentielle promue par l’Europe est que la puissance publique est capable d’organiser le marché et, plus encore, qu’elle doit s’y immiscer pour superviser le comportement des entreprises et éventuellement les empêcher de se concentrer. Cette appréhension de l’économie est à l’opposé de la vision « ultralibérale ».
Si l’« ultralibéralisme » existe, il peut être rattaché à un moment historique : le colloque « Lippmann » de 1938, qui a rassemblé parmi les plus grands esprits libéraux de l’époque (Aron, Hayek, Mises, Rueff…). Parmi eux, Hayek est probablement celui qui a développé l’analyse la plus intéressante de la concurrence, qu’il décrit comme un « processus ». Elle est radicalement différente de celle du droit communautaire.
Là où le droit communautaire souhaite réguler le marché, les « ultralibéraux » veulent le laisser libre, considérant que c’est l’intervention publique qui y introduit des inefficacités et des barrières qui favorisent les rentes
Processus vertueux. Pour le résumer de façon schématique, là où le droit de la concurrence européen est fondé sur l’idée que l’atomisation du marché est consubstantielle à son bon fonctionnement, l’école hayekienne n’en a cure : ce qui importe pour elle, c’est le comportement (innovant et sans cesse stimulé) des entreprises. Dans cet esprit, là où l’Europe regardera d’un œil suspicieux le monopole, l’« ultralibéralisme » explique qu’il peut être le fruit légitime d’un processus vertueux (le monopoleur est celui qui satisfait le plus les consommateurs, ou le premier à avoir innové) ; là où le droit communautaire souhaite réguler le marché, les « ultralibéraux » veulent le laisser libre, considérant que c’est l’intervention publique qui y introduit des inefficacités et des barrières qui favorisent les rentes (notamment à travers la « capture réglementaire » décrite par le Public Choice : dans une économie régulée, l’opérateur économique puissant développe des moyens comme le lobbying pour encourager des normes qui le favorisent).
Dès lors, comment expliquer l’hostilité à l’égard de la Commission européenne de la part des élus LR précités ? Plusieurs raisons sont envisageables.
D’abord, ils ont probablement pour volonté de mieux protéger les victimes des mutations économiques ; mais le droit de la concurrence n’a rien à voir avec cela : c’est le rôle de la redistribution et de la formation. Ensuite, ils semblent vouloir s’inquiéter du poids des GAFA : mais s’ils veulent que la Commission soit plus offensive, il ne faudra pas qu’ils s’offusquent qu’elle le soit aussi à l’égard de géants français… Sauf à ce que leur motivation soit autre et qu’ils ne promeuvent en réalité un droit de la concurrence discriminatoire, qui favorise les petits acteurs plutôt que les gros, les Français plutôt que les étrangers. Dans ce cas, ce n’est pas qu’avec le libéralisme économique qu’ils sont en conflit.
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