J’ai répondu aux questions d’Atlantico sur la stratégie politique d’Alain Juppé
- Selon diverses sources, dont RTL et l’Express, Alain Juppé aurait rencontré Emmanuel Macron à plusieurs reprises, notamment lors de l’entre deux tours de la présidentielle, mais également il y a 3 semaines à l’Elysée. En quoi un tel rapprochement peut il couper l’herbe sous le pied des juppéistes, dont Mael de Calan et Virginie Calmels, dans leur souhait de défendre leurs idées au sein de la famille LR, et libérant ainsi un espace toujours plus grand à leurs opposants ? Ne peut-on pas estimer qu’en l’espèce, Alain Juppé n’assume pas les responsabilités d’un véritable leader de la droite ?
Alain Juppé a, depuis longtemps, laissé transparaitre une forme de proximité politique implicite avec le Président Macron et évidemment beaucoup plus explicite avec le Premier ministre qui est l’un de ses proches. Pour autant, ce mouvement stratégique n’est effectivement probablement pas une aide pour Maël de Calan qui, du fait de ses liens avec le maire de Bordeaux, est, en somme, contraint d’expliquer qu’il est « bien de droite » et qu’il n’est pas l’agent d’un plan caché de rapprochement avec le gouvernement, c’est-à-dire de sabordement de la droite.
Alors qu’Alain Juppé avait été l’un des fondateurs de l’UMP en 2002, parti d’alliance de tous les mouvements de droite et du centre, il semble aujourd’hui vouloir lui donner le coup de grâce, comme s’il avait acté qu’il n’était pas possible de faire vivre un parti de rassemblement et que dès lors une partie de la droite (qu’il incarnerait) devrait se rallier à la République en marché. C’est un peu la prophétie auto-réalisatrice : je ne crois pas que le grand parti de droite va survivre, je le quitte donc, entrainant sa mort.
En se rapprochant d’Emmanuel Macron, Alain Juppé fait un pari : allier le centre gauche et le centre droit autour d’un programme commun pour faire vivre ses idées ; mais il pourrait aussi se produire l’inverse, en noyant ses forces (dont il faudrait mesurer l’importance) dans un mouvement très large comme LREM, qui n’a pas besoin d’elles pour gouverner (et qui a fait du renouvellement de la vie politique un objectif affiché). L’avenir dira si, cette fois, Alain Juppé a fait le meilleur choix stratégique pour faire gagner ses idées.
- En quoi les accusations d’Alain Juppé à l’encontre d’un parti qui serait en cours de « radicalisation » ne correspond pas à la réalité d’électeurs, qui ont montré, notamment lors des ateliers de la refondation de la droite, un attachement à la réforme et au libéralisme alors que la dimension « radicale » critiquée par l’ancien premier ministre n’est représentée que dans une moindre mesure ? Alain Juppé ne fait-il justement le jeu de ceux qu’ils critiquent ? N’est-ce pas ici la cause d’une part de la colère des républicains qui voient ici une forme de trahison ?
L’enquête menée par LR auprès de ses adhérents a montré, de façon intéressante, que la ligne dominante chez ceux qui ont répondu n’était pas celle du conservatisme rabougri, mais plutôt d’une forme de libéralisme-conservateur.
Il n’en reste pas moins que l’impression qui s’est dégagée de la campagne électorale est qu’une partie des adhérents LR, probablement minoritaire mais agissante, a fait le choix de camper sur des positions très solides dans un refus d’envisager le compromis avec d’autres partis : c’est tactiquement problématique car, pour gouverner, il faut savoir faire des compromis. Cette image de fermeture leur a nui. Cette tendance n’est pas propre à LR, elle s’observe dans de nombreuses démocraties occidentales, à droite comme à gauche.
Alain Juppé a critiqué cette évolution. Il l’a fait non sur le plan tactique mais moral, en choisissant un vocabulaire très fort qui a été très peu apprécié car il a semblé être une nouvelle expression d’une opinion technocratique condescendante. Ce faisant, il renforce l’opposition de cette minorité « radicalisée » ; il semble préparer ainsi la mise en place des critères (prétextes ?) qui lui permettront de quitter les LR par la suite.
- Dans quelle mesure une telle attitude peut elle permettre l’ambiguïté actuelle de Laurent Wauquiez sur les questions économiques ? Si les « Universités de la liberté » ont été témoin d’un discours plus libéral qu’à l’accoutumée de la part du probable futur président des LR, certaines ambiguïtés subsistent. Quel risque y a t il pour Laurent Wauquiez de ne pas tenir compte de la nécessité d’une synthèse entre ces différents courants ?
Face à des adversaires qui proposent de saborder les LR en les fondant dans la République en marche, Laurent Wauquiez a une voie facile : être celui qui veut défendre l’existence de la droite. Cela lui permet d’avoir un discours assez général, dont on ne pressent pas toujours la cohérence idéologique. Chacun aura compris que Laurent Wauquiez souhaite avoir une parole très forte sur les questions de religion, mais quel est son programme économique ? quel est son projet de société ?
Laurent Wauquiez va probablement être élu prochainement à la tête des LR. Il devra d’abord consolider sa base, mais il lui faudra ensuite l’élargir. Cela ne peut se faire solidement qu’à partir d’un projet idéologique construit : or, la droite n’a aujourd’hui aucune base doctrinale. Elle n’est que dans la posture et les réactions pavloviennes.
Le défi est grand pour la droite, notamment si quelques uns des responsables des LR choisissent de quitter le parti. Pour autant, il leur faudra le justifier par des raisons idéologiques qu’on ne voit pas poindre non plus de manière très nette. L’Europe et l’identité émergent comme sujets de rupture, mais à ce stade, ce sont plutôt des prétextes : qui peut expliquer les différences précises qui existent entre ceux qui s’invectives ? Il y a beaucoup de postures, beaucoup de guerre d’égos, beaucoup de rancœurs et d’ambitions personnelles. La droite ne semble pas prête de, ni à, revenir au pouvoir.
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