Voici le texte de ma chronique publiée le 6 novembre 2017
En cette fin octobre 2017, le monde chrétien célèbre le cinq centième anniversaire de la Réforme : en 1517, Luther engageait – sans le savoir – un mouvement de restructuration profonde du christianisme, qui allait donner naissance au protestantisme. Ce surgissement spirituel allait aussi être au cœur des conflits qui embrasèrent le monde occidental pendant des décennies.
Pour faire taire les oppositions, l’Europe choisit la voie d’une identité entre le monopole politique et le monopole religieux, selon la maxime cujus regio, ejus religio. La Paix de Westphalie segmenta les territoires, la France révoqua l’édit de Nantes – l’unité religieuse interne se réalisant de force et par les persécutions. Les intolérances multiples et les répressions de tous ordres motivèrent les exodes divers (du Refuge des Huguenots français aux départs nombreux de « dissidents » vers l’Amérique). Elles suscitèrent aussi les plus grands textes sur la liberté et la tolérance (dont celui de Voltaire sur l’affaire Calas).
Cette mémoire religieuse a profondément marqué la France (guerres de religion, Saint-Barthélémy, assassinat d’un roi…). Elle contribue peut-être à expliquer que la laïcité y ait été en pratique accompagnée d’interventionnisme public (jusque dans les efforts récents de neutralisation de l’espace public ou de création du Conseil français du culte musulman) : en repoussant le religieux, le monopole public a travaillé à forcer la paix civile.
République une et divisible. Les Etats-Unis ont également été marqués par cette histoire mais de façon très différente. L’Etat y est absolument neutre : il y est inconcevable qu’il finance des écoles privées ou contribue à organiser un culte. Pour autant, la religion est omniprésente dans l’espace public, considéré comme un lieu de liberté. C’est que dès l’origine, James Madison a voulu que la diversité et la multiplication des cultes divisent la société (1) : cette atomisation devait servir la liberté. Là où la France est « une et indivisible », la République américaine se pense « une et divisible » (2). Alors qu’un pays favorise le monopole unitaire, l’autre a choisi l’effervescence concurrentielle.
Le protestantisme a précisément alimenté la stimulation religieuse, multipliant les « cultes », qui se comptent en nombre aux Etats-Unis. Mais il n’est pas le seul. Confronté à des religions ou croyances alternatives, le christianisme colonial s’est, en Afrique, enrichi de pratiques locales. En Allemagne, le catholicisme est réputé avoir été plus prodigue en services sociaux. Dans le judaïsme, le culte de la diaspora serait également plus diversifié et plus susceptible d’offrir des services (particulièrement aux Etats-Unis où les judaïsmes conservateur, orthodoxe et libéral se concurrencent) que la pratique israélienne (3).
Max Weber a écrit sur le lien – maintes fois débattu – entre protestantisme et capitalisme. Mais le protestantisme a peut-être été d’un autre apport plus substantiel encore : il a contribué à montrer à la fois l’utilité et la nécessité de la concurrence dans le domaine économique, social et surtout politique. Sans concurrence, pas de croissance, pas de services, pas de liberté !
(1) Imbert, Le Noan ; « James Madison, la liberté religieuse et la laïcité », Société, droit & religion, 2012
(2) Chopin, La République « une et divisible », Plon, 2002
(3) Chiswick, Competition vs. Monopoly in the religious marketplace : judaism in the United States and Israel
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