Les élections allemandes ont été marquées par le score de l’AfD. Le résultat a été commenté et les électeurs du parti finement observés : ils ont des revenus plus faibles, des emplois moins qualifiés et habitent dans des zones plus isolées que la moyenne des Allemands (1). Comme dans de nombreux autres pays occidentaux, une ligne de fracture géographique se dessine ainsi dans les électorats, entre ceux qui vivent dans les villes intégrées de l’économie mondiale et ceux qui en sont exclus.
Ce clivage constitue un prisme d’analyse qui pourrait expliquer beaucoup des résultats électoraux récents : depuis la victoire d’Emmanuel Macron à celle d’Alexander Van der Bellen (Autriche) ; depuis le succès du Brexit à celui de Donald Trump en passant par la popularité de Viktor Orban (Hongrie), d’Andrej Babis (République Tchèque), du gouvernement Szydlo (Pologne) ou de l’Union des paysans et verts (Lituanie) ; mais aussi dans l’effondrement des sociaux-démocrates (du PS français à son homologue roumain, jusqu’à la défaite de Matteo Renzi).
La mondialisation a été marquée par le « triomphe des villes », qui agglutinent talents et ressources (2). Cette concentration se démultiplie : les métiers qualifiés des hautes technologies génèrent plus d’emplois que ceux d’ouvriers ; selon Enrico Moretti, le rapport est même de 1 à 5 (3). Dans le même temps, les prix et exigences urbaines tiennent durablement éloignées les milieux les plus modestes.
Le déséquilibre des territoires serait ainsi une tendance structurelle de notre modernité et pour, Philip Auerswald (4), l’explication centrale du vote populiste dans les démocraties occidentales. L’économiste a formé ce constat en superposant trois cartes américaines : celle de la progression du vote républicain entre 2008 et 2012, celle des morts par overdose et celles des morts par suicide. Leur ressemblance est impressionnante : on y retrouve des régions affectées identiques, comme les Appalaches, à la dramatique réalité sociale – si bien décrite dans Hillbilly Elegy de JD Vance.
Condescendance. La France n’échappe pas à cette analyse. Le sujet rejoint d’ailleurs une des faiblesses apparentes du gouvernement actuel qui dit peu sur la ruralité, rien sur les services publics et entretient des relations difficiles avec les élus locaux. Ces animosités sont en partie liée au contexte politique (les collectivités sont à droite), mais la gronde croissante est aussi révélatrice d’une méfiance vis-à-vis d’un gouvernement jugé condescendant, technocratique et hypercentralisé, qui ne rate pas une occasion de renforcer son contrôle sur la démocratie locale.
D’une implacable rationalité sur le papier, les pistes envisagées par le gouvernement (coupes budgétaires, disparition de certains départements, réduction du nombre d’élus, etc.) oublient que les élus locaux sont souvent plus que des représentants (bénévoles) : ils assurent un rôle essentiel et incontournable dans la vie sociale quotidienne.
Les élections récentes doivent être une alerte pour tous et particulièrement le gouvernement : de façon paradoxale, s’il n’y prend garde, son action pourrait non pas réduire le populisme mais au contraire contribuer à le nourrir, en fragilisant le lien social local. N’oublions pas qu’après Barack Obama, c’est Donald Trump qui a été élu…
(1) Wall Street Journal, 25 septembre
(2) Ed Glaeser, The triumph of the city
(3) Enrico Moretti, The new geography of jobs
(4) The origin of populist surges everywhere
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