Ma chronique dans L’Opinion, ce 18 septembre 2017
Dans la mythologie grecque, Eole était le régisseur des vents : c’est lui qui libérait leur furie ou les apaisait, sur ordre de Zeus – l’équivalent de Jupiter dans la mythologie romaine. Faut-il y voir l’annonce précoce de la responsabilité d’Emmanuel Macron dans la catastrophe causée par l’ouragan Irma ? A entendre les polémiques qui ont déchaîné l’actualité, on en viendrait presque à le croire…
A peine le vent s’était-il abattu sur les Antilles qu’une partie de l’opposition, à droite et à gauche, se ruait sur les réseaux et les plateaux pour dénoncer l’impréparation de l’Etat et le déficit d’intervention administrative. Dans sa ligne de mire : l’Exécutif, coupable de n’avoir pas évité le pire.
Comme après chaque catastrophe naturelle, la discorde a dominé. Elle a été révélatrice de l’emprise que l’Etat a acquise sur la société française : il ne règne pas seulement sur l’économie (56 % de dépense publique, champion de l’OCDE !) ou l’emploi (5,5 millions de fonctionnaires, près de 20 % des actifs)… il dirige également les esprits. A force de tout prendre en charge, il est devenu la référence de nos vies, l’alpha et l’omega de la solidarité, le Dieu vers lequel se tourner quand survient une difficulté (ne le qualifie-t-on pas de « Providence » ?).
Que les éléments se déchaînent et les réactions pleuvent, comme s’il était naturel que dans sa toute-puissance, l’Etat ait la capacité d’atténuer les phénomènes naturels. Qu’une partie du pays subisse une catastrophe et c’est automatiquement vers lui que chacun se tourne. Les débats récents ne sont ainsi pas sans rappeler ceux qui avaient suivi la canicule de 2003, quand les Français avaient accusé la puissance publique de laisser mourir les voisins dont eux-mêmes ne s’étaient pas souciés un instant.
Ce réflexe étatiste est le reflet du rétrécissement de notre société, étouffée par la sphère publique. Le déploiement impérial de l’Etat Providence dans chaque moment de nos vies a eu pour effet d’assécher la solidarité entre les citoyens : puisque je paie déjà (beaucoup) d’impôts pour que l’Etat prenne en charge la vie collective et assure les malheurs individuels, pourquoi devrais-je en plus me soucier d’autrui ? Des études économiques ont ainsi montré que la dépense publique génère un effet d’éviction de la solidarité privée.
L’intervention publique a également pour effet de biaiser l’efficacité du marché en encourageant des comportements périlleux. A la suite de Katrina, le prix Nobel Gary Becker décrivait ce qu’il appelait le dilemme du « bon Samaritain » (1) : en venant aider, par générosité, les citoyens ayant pris des risques élevés, le gouvernement les incite à recommencer (comme des parents qui renflouent les caisses de leurs enfants dépensiers).
Une réflexion sur l’avenir de la solidarité ne se fera pas sans discussion sérieuse sur la place de l’Etat et celle de la société civile. La bonne nouvelle est qu’avec le numérique, les initiatives horizontales commencent à émerger ! Ici et là, de nouveaux instruments permettent de donner aux individus la capacité de se retrouver pour agir collectivement. Progressivement, la verticalité de l’Etat Providence s’effrite – minée par ses propres défaillances. Les polémiques qui ont suivi Irma montrent que peu d’élus en ont conscience.
(1) Major disasters and the good samaritan problem (2005)
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