L’Opinion / Les travailleurs détachés sont-ils la cause du vote populiste?

Ma chronique parue le 28 août dans L’Opinion

Lors d’une intervention en Autriche, largement relayée par une communication efficace, le président Macron a rappelé une évidence : le chômage français est dû à nos propres faiblesses. Son déplacement avait notamment pour but d’obtenir une révision du régime des « travailleurs détachés » : il s’agit selon Emmanuel Macron d’un impératif, car il « nourrit le populisme ». Cette affirmation mérite qu’on s’y arrête : elle pose plusieurs questions.

D’abord : le populisme est-il le résultat d’une situation économique ? Dans l’argument d’Emmanuel Macron, il y a l’idée que les électeurs se tournent vers les partis populistes parce qu’ils se sentent menacés par la concurrence des travailleurs de l’Est. C’est probablement vrai. Aux Etats-Unis, le vote pour Donald Trump a pu être motivé par des motifs de ce type : il était plus fort là où l’économie est la plus fragile (1). L’indicateur pertinent n’était pas tant le taux de chômage que la part d’emplois « menacés » par les évolutions technologiques et économiques (2). En Grande-Bretagne, le vote en faveur du Brexit était plus fort dans les zones économiquement sinistrées, comme l’est le vote FN en France (il faudrait aussi intégrer le vote « insoumis » à l’analyse).

Ces éléments sont incomplets. Car à l’inverse, une meilleure situation économique ne prémunit pas contre le vote populiste. Dans son intervention, Emmanuel Macron a donné l’Autriche comme exemple de réussite économique. C’est aussi un pays de renouvellement politique : il s’apprête à élire un chancelier encore plus jeune que notre président (le favori des sondages, Sebastian Kurz, a 31 ans). Pour autant, en 2016, il a connu deux élections présidentielles : à chaque fois l’extrême droite est parvenue au second tour, frôlant même la victoire.

Economie malthusienne. Ce qui amène une autre question : les travailleurs détachés illustrant la peur du « plombier polonais », les étrangers sont-ils la cause du vote populiste ? Des études économiques ont été menées pour tester l’hypothèse. Un article de recherche a montré, en 2015, que plus la concentration d’immigrés est forte, plus les Autrichiens votent pour l’extrême droite (3). Une part non négligeable du vote populiste s’expliquerait ainsi par de la xénophobie mais aussi par l’« insécurité culturelle » (Laurent Bouvet) : ce qui angoisse les électeurs, c’est l’impression qu’ils ont que leurs valeurs sont remises en cause (par l’islam, par la mondialisation).

Ces deux explications ont une cause commune : l’échec de l’Etat-providence. Si les électeurs s’inquiètent des immigrés, c’est que, dans notre régime économique malthusien qui a renoncé à faire croître la richesse pour mieux privilégier sa redistribution, ils ont l’impression que tout nouveau convive vient manger leur pain, lequel se fait rare. Le discours français sur les travailleurs détachés oublie un peu vite cette réalité : avant de demander à nos partenaires de s’enchaîner aux pieds les mêmes boulets que nous, nous devrions réinventer notre modèle social pour qu’il redonne une dynamique et un espoir à ses citoyens. Il est la cause de notre échec économique et alimente notre malaise identitaire.

(1) Voir la chronique sur Hillbilly Elegy dans l’Opinion du 20 février 2017

(2) Fivethirtyeight.com, novembre 2016

(3) Halla, Wagner, Zweimuller, Immigration and far-right voting, 2015

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