Ma chronique du 12 juin 2017 dans L’Opinion
Il fallait donc que tout change pour que rien ne change. Après la victoire et le début de mandat d’Emmanuel Macron, qui ont implacablement réactualisé la présidentialisation du régime, les élections législatives devraient confirmer la vivacité du phénomène majoritaire. La logique de la Ve République, confirmée dans la plupart des législatures depuis son origine, s’affirme à nouveau, pour donner naissance au couple qui unit un exécutif puissant à un Parlement cohérent.
Les élections quinquennales fonctionnent ainsi comme un formidable appel d’offres à échéances régulières, à l’issue duquel le candidat et le parti qui remportent le marché détiennent 100 % du pouvoir le temps d’un mandat. Ce monopole temporaire est le fruit d’une concurrence intense et souvent féroce, qui sacre ceux qui ont su le mieux convaincre la demande électorale. Cette solution a le mérite de permettre au gouvernement de faire son travail, en disposant de tous les moyens de l’appareil d’Etat.
Si cette concentration des pouvoirs est temporaire, elle n’est pas pour autant précaire : le régime politique français, organisé autour et par un Etat sacralisé, donne à l’exécutif majoritaire une puissance considérable. Son monopole n’est pas contestable. Il ne l’est pas pendant le mandat. Il l’est difficilement à son issue : ceux qui peuvent le remettre en cause en sont en réalité déjà proches. Le succès d’En Marche ! est inédit, mais il ne remet pas fondamentalement ce constat en cause : la sociologie du mouvement, comme sa stratégie, le rapprochent bien plus des insiders que des outsiders de la politique.
La contestabilité du pouvoir est d’autant plus faible que les institutions érigent de fortes barrières à l’entrée du marché politique : financement des partis, fonctionnarisation de la vie publique, etc. Mais aussi hypercentralisation… Dans un pays réellement décentralisé, les collectivités pourraient avoir un rôle d’opposition pour que « par la disposition des choses, le pouvoir arrête le pouvoir » (Montesquieu). En France, ce n’est pas le cas : depuis des années, l’Etat n’a de cesse d’affirmer sa mainmise sur ses vassales. Les collectivités sont tenues d’une main de fer.
Comme la monopolisation étouffe la potentielle contestation au sein du marché en la marginalisant, les mécontents n’ont d’autre expression politique qu’en dehors du pouvoir, c’est-à-dire hors des institutions démocratiques: dans la rue et sur les réseaux sociaux
L’impossibilité de remettre en cause le pouvoir présente une limite. Comme la monopolisation étouffe la potentielle contestation au sein du marché en la marginalisant, les mécontents n’ont d’autre expression politique qu’en dehors de lui, c’est-à-dire hors des institutions démocratiques : dans la rue et désormais sur les réseaux sociaux. Le défi pour le monopoleur gouvernemental est de parvenir à contenir ces mouvements – par exemple en donnant l’illusion qu’ils partagent eux aussi le pouvoir en les consultant largement.
Le fonctionnement et le succès de la Ve République sont instructifs pour les libéraux : la France est un pays monarchique qui aime les monopoles, y compris en politique. Les institutions issues de 1958 organisent ainsi la monopolisation inéluctable du pouvoir au profit du parti majoritaire, qui découle du chef de l’Etat. Ce n’est pas un président que la France élit, c’est un monarque absolu. Elle lui octroie les pleins pouvoirs, sans contrepoids. Et ensuite elle vote pour une chambre d’enregistrement de la volonté présidentielle.
Favoriser le libéralisme en France ne peut donc se passer d’une réflexion profonde et structurée sur l’Etat, qui ne pourra pas disparaître, ni sur les institutions républicaines qui en découlent.
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