Ma chronique du 29 mai 2017
A la différence de la fédération américaine, que ses Pères fondateurs ont conçue comme « une et divisible » (1), la Ve République n’est pas pensée pour encourager la concurrence : le pouvoir se concentre, surtout depuis 1962, entre les mains du Président. Les premiers pas d’Emmanuel Macron renouent en ce sens avec la geste gaullienne et rompent avec son prédécesseur « normal » : de manière intéressante, le mandat qui commence pourrait consolider la présidentialisation du régime.
Dans la vie économique, les entreprises peuvent entrer en concurrence pour acquérir des ressources identiques ; si elles en sont privées par un acteur dominant, elles dépérissent. Dans la vie institutionnelle, l’input c’est la compétence administrative et technique : sans elle, le ministre comme le député restent impuissants. La mise en place du nouvel exécutif renforce cette dynamique.
La première étape de ce mouvement est d’ordre symbolique. Tout, depuis son élection, montre l’importance qu’Emmanuel Macron lui accorde : il a compris que le pouvoir doit s’incarner dans sa personne, avec ce qu’il a de magie et de puissance. Le Président occupe donc le centre de l’attention.
La deuxième étape est politique. Avec un nombre de collaborateurs désormais réduit (mesure qui ne concerne pas l’Elysée), il sera probablement moins évident pour les ministres de déployer leurs initiatives personnelles, particulièrement pour ceux issus de la « société civile » qui gagnent en expertise ce qu’ils perdent en onction électorale. La concurrence au sein du gouvernement – qui a tué tant de ses prédécesseurs, sera atrophiée, par régulation du capital politique.
Spoil system. La troisième étape est administrative. L’instauration de fait d’un « spoil system » à la française, par lequel le Président entend remplacer les plus hauts responsables des administrations pour leur substituer des personnes de confiance est bienvenue : elle est clé pour mettre en œuvre les réformes efficacement. Mais elle a pour effet de prendre les ministres en tenaille, entre un Elysée puissant et ses relais dans l’administration.
Emmanuel Macron semble ainsi avoir fait le constat que dans l’appareil gouvernemental la concurrence était désorganisatrice. Il a vu la paralysie du quinquennat Hollande
La quatrième étape est institutionnelle. Elle se joue au parlement où le Président disposera fort probablement d’une majorité. Celle-ci sera issue d’un renouvellement politique : ce vent de fraîcheur sera aussi, au moins un temps, celui de l’inexpérience, face à un pouvoir exécutif plus rodé et d’autant plus fort que l’opposition sera scindée entre PC, PS, LR et FN – eux-mêmes tous divisés. Au Parlement, les ressources politiques seront ainsi effacées, alors même que les ressources techniques sont déjà faibles.
Emmanuel Macron semble ainsi avoir fait le constat que dans l’appareil gouvernemental la concurrence était désorganisatrice. Il a vu la paralysie du quinquennat Hollande. Sa réponse pour assurer l’efficacité de son mandat est nette : la concentration du pouvoir au profit de la présidentialisation, propre au régime de la Ve République. Pour contrebalancer cette tendance, il faudra réfléchir à instaurer un parlement fort et un pouvoir décentralisé. Aux Etats-Unis, le Président est « impérial » (2) ; mais le Congrès est un puissant contre-pouvoir et l’Etat y est fédéral.
(1) Thierry Chopin, La République une et divisible, Plon, 2002
(2) Schlesinger, La présidence impériale, 1973
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