J’ai répondu à quelques questions d’Atlantico
L’entretien complet peut être lu ici:
Élection de Donald Trump, la « responsable » vient d’être démasquée, c’était l’insécurité culturelle. Mais qu’en est-il en France (et non, on ne parle pas que d’immigration) ?
L’insécurité culturelle est fortement liée au vote populiste. Dans les causes de ce dernier, elle dépasserait l’insécurité économique.
Atlantico : Selon une étude menée par The Atlantic et le Public Religion Research Institute, la principale variable « explicative » du vote Trump serait, non pas l’angoisse économique de la classe ouvrière blanche, mais son insécurité culturelle, définie notamment par le sentiment de ne plus être chez soi en Amérique, par un souhait de voir les migrants « renvoyés » chez eux, ou par une perte de confiance dans les capacités du système éducatif à leur venir en aide. Comment pourrait on définir les caractéristiques d’un tel sentiment d’anxiété culturelle, en se plaçant sous un angle français ? Faut il y voir également un puissant carburant du vote frontiste ?
Erwan Le Noan : Les explications de la colère populiste de l’Amérique « blanche » sont multiples. Elles sont excellemment bien présentées dans un livre récent, qui a rencontré un énorme succès aux Etats-Unis, Hillbilly Elegy, qui raconte la misère et la détresse sociales énormes de la Rust Belt, cette zone ex-industrielle au Nord des Etats-Unis. On y lit ce que montrent les statistiques : le fléau de la drogue, qui fait des ravages considérables dans ces milieux défavorisés (comme une mortalité croissante) ; la désespérance du chômage ; une certaine forme de craintes identitaires ; la déstructuration des familles. Mais aussi la profonde demande de reconnaissance, de la part de citoyens qui attendent que les élites et l’Etat leur portent un peu de considération (au lieu, estiment-ils, de la porter uniquement sur leurs victimes « préférées », qui correspondent à l’image que les plus favorisés se font des « bonnes » victimes).
En France, l’insécurité culturelle est un phénomène qui a été décrit par Laurent Bouvet. Il n’explique probablement pas l’intégralité du vote populiste (qui existe aux deux extrêmes), mais certainement une bonne partie de celui en faveur du Front national. Je ne crois pas qu’il soit exclusif des inquiétudes économiques ; ce que cette analyse permet de comprendre c’est que ce n’est pas seulement en revenant à un chômage minimum qu’on résoudra le malaise français. Il y a aussi des questions culturelles (« d’identité », de « vivre-ensemble », de « collectif », appelons-les comme on veut) qui se posent avec acuité. Malheureusement, elles sont souvent écartées d’un revers de la main dans le débat public, ce qui interdit à la fois d’y réfléchir et d’y répondre.
Si les questions migratoires participent à ce sentiment, elles ne semblent pas être exclusives. Quels sont les éléments participant à l’insécurité culturelle qui peuvent découler du clivage entre métropoles mondialisées, et certaines zones reléguées du territoire ? En quoi les modes de vie se différencient t ils à ce point que des catégories de population se sentent placées dans un tel sentiment d’insécurité ? En quoi les modifications des valeurs attachées au travail par exemple, peuvent y participer (perte de prestige du travail physique etc..) ?
Erwan Le Noan : L’une des clés d’analyse, mais surement pas la seule, est qu’une partie de la population occidentale – pas seulement française ! – a l’impression que sa vie lui échappe, qu’elle ne contrôle plus rien, qu’elle subit ; et qu’à l’inverse, une autre partie profite pleinement et de manière injuste du monde et de ses opportunités. D’une certaine manière, la colère contre les inégalités (d’un Occupy Wall Street, Podemos et France Insoumise) rejoint le malaise identitaire (exprimé par Donald Trump ou le Front national) : l’un et l’autre expriment une demande d’unité, de cohésion identitaire et/ou sociale.
Cette impression d’abandon est cruciale et motive une demande de reconnaissance multiple : les citoyens concernés veulent « simplement » qu’on admette que leur mode de vie est aussi valable que les autres, que leur attachement à certaines traditions n’est pas méprisable, que leur vision du travail, notamment industriel, n’est pas une ineptie. Or, tout un discours politique décrit un sens unique du progrès intellectuel et moral, et désigne comme des arriérés voire des coupables ceux qui, pour une raison ou une autre, y résistent.
Ne peut-on pas considérer que le vote Trump diffère en ce sens du vote Le Pen ? En quoi le soutien apporté par le parti Républicain du candidat Trump a-t-il participer à « l’acceptabilité » de cette question d’insécurité culturelle dans le débat, alors que celle ci a été marginalisée dans le débat par la simple position du FN sur l’échiquier politique ?
Erwan Le Noan : Les Républicains américains se sont rangés finalement derrière Donald Trump parce qu’ils n’avaient pas le choix : ils se sont faits dépasser par lui et parce qu’ils n’ont pas su maitriser le mouvement du Tea Party qui a pris une influence grandissante au sein du GOP. La comparaison ne peut cependant pas être parfaite : il y a des différences importantes entre Donald Trump (et le Tea Party) et le Front national de Madame Le Pen, à commencer par l’économie : le premier défend un programme plutôt « poujadiste » (si le qualificatif peut s’employer pour les Etats-Unis) alors que le second a adopté des positions très ancrées à gauche.
En France, le sujet de l’insécurité culturelle semble avoir été au cœur des débats politiques des dernières années et il n’a pas été porté de manière unique par le Front national : on peut considérer que les débats sur l’ « identité nationale », à l’époque du président Sarkozy, était une manière d’aborder le sujet ; ou que Manuel Valls avait aussi essayé d’en parler. La campagne présidentielle n’en a pas réellement parlé, mais cela est vrai de tous les autres sujets : ce sont les affaires qui ont dominé.
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