Chronique du 6 février 2017
Le 26 août 1774, Turgot écrivit une lettre à Louis XVI. Dans sa missive, restée célèbre, il appelait le souverain à mettre en œuvre de profondes réformes du royaume, sclérosé par une noblesse rentière. Elles ne vinrent jamais et quinze années plus tard, la Révolution française éclatait. En janvier 2008, lorsqu’il a remis le rapport de la commission qu’il présidait au Président Sarkozy, Jacques Attali a commencé son intervention par la lecture de ce courrier. Sans exagérer les parallèles historiques hasardeux, dix années après ce discours, nous semblons à nouveau être à l’aube d’un moment de transition. La crise politique profonde que nous traversons marque la fin d’un Ancien Régime : celui de l’Etat-providence, de son interventionnisme et de la démocratie sociale qui l’a inspiré.
Depuis des années, la colère populaire s’exprime avec une violence croissante : jacqueries (des Bonnets rouges aux zadistes) et rébellions électorales (les candidats des extrêmes rassemblent entre un 30 % et 40 % des intentions de vote pour la présidentielle) se succèdent et s’accroissent. En filigrane, elle dénonce l’incapacité à agir de la puissance publique. Cette paralysie est le fruit de son obésité : l’excès d’intervention a conduit à la faillite.
Trop lourd, l’appareil administratif nourrit aussi l’immobilisme de la vie économique et sociale. Les entrepreneurs sont privés de leurs opportunités de réussite par un Etat trop invasif. L’Ecole, hyper-centralisée et hyper-administrée est en échec : la réussite en France est la plus déterministe de tout l’OCDE. Pour paraphraser Beaumarchais, par le sort de la naissance, certains sont rois, d’autres sont bergers ; mais on ne donne plus les chances à l’esprit de remédier à ces injustices…
La gronde sociale dénonce les élites qui, souvent courtisanes et rentières, vivent des ressources publiques : l’administration la plus haute navigue, protégée, entre directions publiques et privées ; les élus sont financés par des ressources fiscales qu’ils se répartissent en fermant la porte aux nouveaux entrants ; une grande partie de la presse est subventionnée. La concurrence ainsi muselée, la stabilité, même médiocre, est garantie et la stimulation anesthésiée. Tous ont intérêt à préserver le système qui les fait vivre. En grand nombre, ils dénoncent le marché. Dans la « France d’en bas », on réclame au contraire une disruption radicale.
Protégée de la concurrence par l’Etat qu’elle vénère et qui la protège, l’élite est déconnectée. De régulations en contrôles, elle ne cesse de prétendre savoir à leur place ce qui est bon pour le peuple et les acteurs économiques. Elle ne parvient pas à concevoir que ce qui a toujours existé puisse disparaître : comme la monarchie divine était éternelle, l’Etat-providence perdurera. Elle nourrit d’ailleurs le rêve que l’exaspération se déverse en faveur du candidat social-démocrate en mai prochain. Mais jusqu’à maintenant celui-ci n’a pas montré qu’il voulait bouleverser le système ; il se contente de l’amender. La révolution par la noblesse d’Etat ?
Ruine, excès de contrôle, hyper-centralisation, élites publiques rentières, dépendance à la dépense publique… L’Ancien Régime de l’Etat-providence se meurt. Le basculement vers un modèle alternatif peut se faire dans la transition réformatrice ou la révolution brutale, dans la paix ou la colère. Le malheur est que la colère profite souvent aux extrêmes. Maintenant que le candidat de droite semble disparaître, le danger politique de 2017 est énorme.
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