Le texte de ma chronique du 9 janvier.
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Après ses propos polémiques du 3 janvier dernier (1), Vincent Peillon s’est défendu d’avoir voulu faire de la laïcité une source de l’idéologie antisémite de 1940. Venu à sa rescousse, son entourage a précisé que, d’ailleurs, il « n’a pas parlé de l’Holocauste mais de Vichy » (2). Gageons que pour les plus de 70 000 Juifs qui moururent en déportation et les dizaines de milliers d’autres qui vécurent dans la peur, la nuance fut limpide !
En réalité, l’essentiel du message du candidat socialiste est ailleurs : dans le parallèle très conscient qu’il établit entre la situation des Juifs sous Pétain et celle des Musulmans en France aujourd’hui. Comme si les uns et les autres étaient victimes des mêmes oppressions.
Dans certaines parties de l’opinion, ce genre de message a des effets catastrophiques : il alimente les théories complotistes, qui considèrent que si la souffrance des Musulmans aujourd’hui n’est pas reconnue, contrairement à celle des Juifs hier, c’est que ces derniers ont une influence démesurée sur la vie politique française. C’est également ce raisonnement qui nourrit un discours obsessionnel sur le conflit israélo-palestinien : si l’on ne reconnaît pas la réalité de l’oppression des gazaouis, c’est parce que leurs tyrans sont Juifs.
Régime de discrimination. Pour ceux qui considèrent que la France a instauré un régime de discrimination d’Etat contre les Musulmans, le message est clair : il faut enfin reconnaître leur souffrance, comme on a reconnu celle, équivalente, des Juifs. Ce sont ces revendications que l’intervention de Monsieur Peillon nourrit, comme la revendication récurrente d’un Etat palestinien par Benoît Hamon. Ces responsables politiques font preuve soit d’une ignorance grave de la réalité de notre pays, soit d’un cynisme politique absolu et d’une immense irresponsabilité morale. Car qu’ils le veuillent ou non, ils nourrissent l’antisémitisme.
L’antisémitisme de gauche fut alimenté, intellectuellement, par l’anticapitalisme. Longtemps, il a conspué les Juifs, bourgeois et agents internationaux du patronat
Il ne suffit pas de s’afficher de gauche pour faire preuve de virginité en la matière. Car il existe bien une tradition antisémite à gauche, d’inspiration économique.
L’antisémitisme de gauche fut alimenté, intellectuellement, par l’anticapitalisme. Longtemps, il a conspué les Juifs, bourgeois et agents internationaux du patronat. Il y eut Jaurès qui, avant de le défendre, commença par se désoler que Dreyfus échappe à la peine de mort grâce au « prodigieux déploiement de la puissance juive. »
Il est ainsi lié à une tradition de méfiance vis-à-vis du marché. Trois économistes ont montré qu’en Allemagne, les zones où la persécution des Juifs fut la plus forte au Moyen-Âge et la plus virulente sous le nazisme sont marquées par une plus grande défiance vis-à-vis des marchés financiers (3).
Bien sûr, l’antisémitisme ne trouve malheureusement pas ses racines de haine que dans cette tradition. Mais il est inquiétant qu’à gauche, au nom de la défense des opprimés, certains prennent le risque de l’alimenter de nouveau. C’est le cas en France. Ca l’est aussi au Royaume-Uni, où Jeremy Corbyn et Ken Livingstone sont pris dans la tourmente antisémite.
(1) « Certains veulent utiliser la laïcité – ça a déjà été fait par le passé contre certaines catégories de la population. C’était il y a quarante ans, les Juifs à qui on mettait des étoiles jaunes. C’est aujourd’hui un certain nombre de nos compatriotes musulmans »
(2) Lemonde.fr, Vincent Peillon, Vichy et la laïcité
(3) D’Acunto, Prokopczuk et Weber, Distrust in finance lingers : jewish persecution and households’ investments, 2014
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