Ma chronique de ce lundi 21 novembre dans L’Opinion
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La campagne présidentielle américaine s’achève sur une révélation : des informations d’une fiabilité douteuse circulent sur Internet ! Il fallait bien une polémique internationale pour le réaliser. Les réactions sont vives : les partisans d’Hillary Clinton n’en finissent plus de s’indigner, reprochant à Facebook d’avoir nui à leur candidate ; hasard du calendrier, la Commission européenne vient d’annoncer une enquête sur la transparence des algorithmes des plateformes en ligne. Dans cette polémique, les « GAFA » [ndlr : Google, Apple, Facebook, Amazon] sont des boucs émissaires idéaux : il n’est plus un sujet où l’on ne songe à les impliquer.
De vraies questions se posent évidemment : 60 % des Américains s’informent sur Facebook et 71 % des Français sur les réseaux sociaux (1). Dans une époque politique où la véracité des faits aurait perdu de son importance (les Anglo-Saxons la qualifient de « post-truth »), les plateformes numériques sont-elles responsables des fausses actualités qu’elles diffusent ?
Pour se défendre, Facebook explique n’être qu’un support technologique et non un média : les informations qui circulent sur son réseau ne font pas l’objet d’une intense éditorialisation. L’économiste Tyler Cowen dresse à ce titre un parallèle avec les serveurs email : doit-on leur reprocher de diffuser des messages militants, souvent faux également ?
Facebook et Google se sentent toutefois certainement un peu responsables : pendant la campagne, Mark Zuckerberg était intervenu pour empêcher que la modération de son réseau ne supprime des messages de Donald Trump, considérés comme haineux ; la semaine dernière, en même temps que Google, il a annoncé que son entreprise interdirait désormais les publicités des faux sites d’information.
La régulation du « marché des idées » est une question sur laquelle l’économie a déjà réfléchi, notamment depuis un article fondateur de Ronald Coase (prix Nobel 1991) (2). Elle a été particulièrement étudiée aux Etats-Unis sous l’angle de la liberté d’expression (3).
Ce contexte est une opportunité pour la presse traditionnelle : elle peut se distinguer par la qualité de son offre et de ses analyses, renvoyant un signal aux consommateurs sur ce qui la distingue du caniveau médiatique
Asymétrie d’information. Sur ce marché, les consommateurs sont en situation d’asymétrie d’information (ils en savent moins que les distributeurs d’actualités) et ne peuvent pas, a priori, distinguer par eux-mêmes les bonnes données des mauvaises. Un phénomène d’« antisélection », décrit par George Akerlof (prix Nobel 2001), conduit les mauvais produits à chasser les bons. Cette tendance est d’ailleurs probablement renforcée par les biais des consommateurs : sur les réseaux sociaux, ils cherchent généralement à confirmer leurs idées plutôt qu’à en découvrir de nouvelles.
Paradoxalement, ce contexte est une opportunité pour la presse traditionnelle : elle peut se distinguer par la qualité de son offre et de ses analyses, renvoyant un signal aux consommateurs sur ce qui la distingue du caniveau médiatique. Les réseaux sociaux peuvent suivre la même voie. Dans une ère d’abondance, la fonction de sélection sera toujours plus valorisée par les consommateurs, et la confiance essentielle (c’est ce qui fait, d’ailleurs, la force des algorithmes de Google ou Netflix) ! La course à la qualité et à l’innovation est ouverte ; elle sera plus utile que les réflexes régulateurs pavloviens.
(1) Pew Research, News use across social media platforms, mai 2016 ; Arcep, Baromètre du numérique, novembre 2015
(2) The market for goods and the market for ideas, American Economic Review, 1974
(3) Voir Richard Posner, Free speech in an economic perspective, Suffolk University Law Review, 1986
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