A l’issue du deuxième débat de la primaire et du centre, très disputé sur BFMTV et iTélé jeudi soir, quatre questions ont été posées à notre jury.
1. Qui est le gagnant selon vous ?
2. Qui est le perdant ?
3. Quel a été le moment fort de ce débat ?
4. Comment avez-vous jugé dans sa globalité ce premier débat ?
Robert Zarader, président de Equancy & co
« Comme personne ne l’attaque, Juppé ne peut pas être percutant »
1. François Fillon est vraiment, au fil des débats, en train de changer de statut. C’est lui qui a le mieux maîtrisé le débat, il décroche vraiment de Bruno Le Maire, il a de nouveau marqué le point. L’autre bonne surprise, c’est Nathalie Kosciusko-Morizet, qui était beaucoup plus détendue que la première fois, et très percutante.
Enfin, j’ai trouvé Nicolas Sarkozy assez bon, en tout cas bien meilleur qu’au premier débat. Il a été avantagé par deux choses : le poids des sujets régaliens, sur lesquels il a quand même une vraie maîtrise. Et par la position d’Alain Juppé, très au-dessus de la mêlée. Comme personne ne l’attaque, il ne peut pas être percutant. Par rapport au cœur de cible de la primaire, c’est un défaut. Du coup, Nicolas Sarkozy consolide son assise dans ce cœur de cible, tandis qu’Alain Juppé est en hibernation.
2. Jean-Frédéric Poisson, que j’ai trouvé totalement décalé, hors sujet à peu près sur tout. Sinon, Bruno Le Maire est à nouveau perdant. Il n’est pas percutant, il a un côté un peu mièvre.
3. Il y a eu deux moments forts. D’abord la partie sur la ligne politique vis-à-vis du centre. Tout le monde a essayé d’aller chercher Nicolas Sarkozy sur le respect du résultat de la primaire, mais lui repose la question de la ligne politique. Ensuite celui où François Fillon met en cause François Hollande sur le respect du secret défense : il a réussi à construire les propres moments clés, il a montré sa capacité à prendre une certaine forme de distance et de hauteur.
4. Pour moi, il n’y a pas photo, c’était beaucoup plus dynamique et mieux mené que le premier. Les candidats étaient plus à l’aise. Il y a même eu des moments drôles. Notamment grâce à Jean-François Copé, qui fait un peu le spectacle. Il est sans filtre. On sent bien qu’il est hors-jeu, notamment parce qu’il est le seul à rire de lui-même.
François de Closets, écrivain
« Sarkozy a fait du bon Sarkozy »
1 et 2. Le plus attendu était Nicolas Sarkozy qui, dans la première rencontre, avait été tendu, sombre, irritable et largement dominé par Alain Juppé. Il a repris la main en vieux routier des débats. Retrouvant l’autorité sans la tension qu’on attend d’un Président, il a fait du bon Sarkozy. Attaqué par tous les participants, il a réussi de très belles prises de jiu-jitsu. Ainsi de la diplomatie au Moyen-Orient : après avoir laissé les uns et les autres se lancer dans la surenchère des « faut qu’on » sur l’Arabie Saoudite, le Qatar, l’Iran…, il s’est bardé dans son expérience pour les rappeler au réalisme sur le thème « Vous n’y connaissez rien ». En revanche, son attaque, trop annoncée, trop attendue sur l’alliance avec François Bayrou a sans doute fait long feu. Alain Juppé n’a eu aucun mal à parer le coup et les autres participants semblaient s’être donnés le mot pour n’y voir qu’une querelle politicienne.
Du coup, Alain Juppé qui est resté paresseusement sur son Olympe de futur vainqueur a perdu l’exclusivité de la stature présidentielle. Il l’a jouée dans la sérénité, tandis que Sarkozy l’interprétait dans l’autorité et que François Fillon, pour n’être pas de reste, ajustait chacun de ses mots comme sur un prompteur longuement préparé. Tous trois ont parfaitement joué le rôle d’un futur chef d’Etat.
Quant à Bruno Le Maire qui avait retrouvé sa cravate, il a sorti plus que jamais son atout du « renouveau », sans jamais prononcer le mot. Mais est-ce un atout gagnant ? Rien n’est moins sûr. Et ses attaques contre Nicolas Sarkozy sur l’ouverture à gauche furent trop facilement contrées par celui-ci.
Nathalie Kosciusko-Morizet a amélioré sa prestation en affirmant à nouveau sa modernité, sa singularité, mais avec plus de spontanéité, de pertinence et d’impertinence. Dans cette compétition des mal classés, Jean-François Copé fut égal à lui-même, jouant avec brio le rôle sacrifié de l’anti-Sarkozy. Comment reprocher la réduction des effectifs de la police, sans passer pour un faux frère et s’entendre rappeler qu’il a approuvé ces mesures ?
3 et 4. Que peut-il rester d’un tel débat ? Le premier était un match d’observation. Mais il en va des primaires comme du football : plus on approche de la finale et moins on marque de buts. Car les participants ont corrigé le tir à l’exception de l’inattendu Poisson qui, passé l’effet de surprise, fut bon quand il n’avait rien d’original à dire et consternant lorsqu’il se singularisait. Oublions ! Rien sur les programmes dont les ressemblances écrasent les différences. La compétition, c’est évident, se fera sur les personnes et les orientations politiques. De ce point de vue, Sarkozy s’est sans doute rapproché de Juppé et Fillon de Sarkozy. Un effet léger qui ne se fera sentir que dans les prochains jours.
Les compétiteurs seront encore plus difficiles à classer après le troisième débat qui sera encore plus serré. C’est la loi du genre. Désormais tout va se jouer dans la véritable finale : le face-à-face des deux premiers avant le second tour. Il restera au vainqueur à effectuer un double salto car, après avoir gagné la primaire à droite, il faudra gagner la présidentielle au centre.
Michèle Cotta, journaliste, auteur de Comment en est-on arrivé là ?
(Robert Laffont, 21,50 €) suite de ses Carnets politiques
« Poisson n’avait rien à faire là »
1. François Fillon et Alain Juppé. Fillon, par sa capacité à rejeter la politique politicienne pour prendre de la hauteur et ne pas se laisser entraîner dans certains débats. Juppé, par sa posture de ne pas tomber dans des attaques. NKM a été très bonne et impertinente, mais elle n’est pas dans la même catégorie. La situation de Nicolas Sarkozy n’a pas été simple car une grande partie de l’émission a été consacrée à critiquer son bilan, avec cette question sous-jacente : pourquoi ferait-il en 2017 ce qu’il n’a pas réussi lors du précédent quinquennat ?
2. Jean-Frédéric Poisson, parce qu’il n’a rien à faire là. Et, d’une certaine manière, Bruno Le Maire, meilleur que lors du premier débat, mais n’a pas réussi à percer. Jean-François Copé n’a pas été mauvais, mais il est distancé dans les faits.
3. Le long échange consacré à la place de François Bayrou, où l’on voyait bien la différence entre les tenants d’une droite qui exclut et ceux qui veulent ouvrir vers le centre.
4. C’était un bon débat, beaucoup plus vif, énergique, parfois drôle, plus que celui du 13 octobre. On y a entendu des échanges pas toujours aimables, mais qui correspondaient bien à la réalité. On a vu une vraie différence entre ceux qui ont l’expérience (un ancien président de la République, deux anciens Premiers ministres) et ceux qui, notamment en politique étrangère, n’ont pas en mains tous les atouts. Oui, il y a une prime à l’expérience.
Julien Aubert, député LR du Vaucluse, qui ne soutient aucun candidat
« On aurait cru assister au premier acte du Tartuffe de Molière »
1. Match nul. Ceux qui avaient été en dessous lors du premier débat ont été cette fois-ci au dessus. C’est le cas de Bruno Le Maire et Nicolas Sarkozy. Et inversement : Alain Juppé et François Fillon ont été un peu moins bons. Conclusion : personne n’a vraiment gagné.
2. Personne n’a perdu.
3. Il y a eu un moment Copé : sa dénonciation du temps passé sur Bayrou ou le ni-ni et son autodérision aura marqué. Ensuite, c’est la séquence Bayrou. On aurait cru assister au premier acte du Tartuffe de Molière. Parler vingt minutes d’un personnage qui n’est pas sur scène, c’était quand même très incongru.
4. J’ai moins aimé ce débat que le premier. Initialement, on aurait pu penser que l’on aurait assisté à une bataille pour la place du 3e homme entre Le Maire et Fillon. Il n’en a rien été. Fillon a voulu bouffer Poisson pour récupérer ses voix. Pour cela, il a mis en avant son souverainisme, son gaullisme…Le Maire voulait bouffer NKM – qui s’est très bien défendue – sur la modernité. Je pense que le premier a mieux réussi son pari que le second. Il n’y a pas eu non plus comme on aurait pu le croire de match Juppé/Sarkozy. Peu attaqué, Juppé est resté en retrait tandis que Sarkozy avait maille à partir avec ses anciens ministres.
Jérôme Sainte-Marie, président de l’institut PollingVox
« Juppé a été un candidat parmi d’autres »
1. Nicolas Sarkozy en est sorti renforcé. Il a été la cible de la plupart des attaques et il n’y a pas cédé. Il a été d’une crédibilité centrale sans être agressif.
2. Bruno Le Maire a souvent été hors de propos et pas très à l’aise. Il n’arrive pas à incarner autre chose qu’un renouveau sans objet.
3. La polémique Bayrou. Quelle est la meilleure solution politique pour réussir l’alternance ? Rassembler au plus large ou au plus dur ? C’est un peu l’équivalent de la question posée au PS lors du congrès d’Epinay. Il est assez rare de discuter ainsi devant des téléspectateurs de stratégie politique.
4. Ce débat a été beaucoup plus fluide que le prédécent, moins figé, plus animé, notamment grâce aux petits candidats et par exemple Jean-François Copé, particulièrement libre. On aurait pu penser qu’Alain Juppé cherche à instaurer un match à deux avec Nicolas Sarkozy. Il ne l’a pas fait. Cela a été un candidat parmi d’autres.
Erwan Le Noan, conseiller à la Fondapol
« Sur Bayrou, Sarkozy a fait passer son message »
1. D’abord, le téléspectateur car le débat a été un peu plus animé que le précédent. Les candidats se sont affrontés plus directement et cela a contribué à stimuler l’intérêt des échanges.
Aucun candidat n’a probablement « gagné » à lui seul le débat ; plusieurs se sont distingués, selon les moments. Deux d’entre eux émergent. Le premier, c’est François Fillon qui a continué de faire avancer ses arguments de fond, de manière claire et solide, sans entrer dans les polémiques politiciennes. Le second, c’est Nicolas Sarkozy qui est apparu plus serein et a su marquer des points de conviction sur quelques sujets importants pour lui. Sur François Bayrou, qu’on soit d’accord ou non avec lui, le message est passé.
S’il faut en ajouter deux autres, ce serait d’abord Bruno Le Maire, qui a marqué le début du débat par son offensive tous azimuts. On a bien compris que sa stratégie était de tirer à vue pour se distinguer ; le problème c’est que cela n’a pas tenu dans la durée et que sur les thèmes suivants il est apparu nettement plus effacé. Au demeurant, il en fait peut-être un peu trop contre Nicolas Sarkozy et, si on a bien compris qu’il voulait rappeler qu’il était au même niveau que les anciens Premiers ministres et l’ancien Président, il était un peu lassant de l’entendre répétant leurs prénoms en permanence. Par ailleurs, Jean-François Copé a eu quelques moments intéressants : d’auto-ironie mais aussi sur le « ni-ni » sur lequel il a fait un rappel très clair et très fort des valeurs de droite.
2. De la même manière, il n’y a pas de candidat qui aurait « raté » totalement son oral. Certains ont toutefois pu être décevants parce qu’on en attendait peut-être plus. Le premier, c’est Alain Juppé. Il n’a pas perdu et il a même dû satisfaire les Français qui cherchent en lui une figure rassurante ; mais il n’a pas brillé autant qu’on aurait pu s’y attendre. Il a semblé en retrait : cela correspond probablement à sa personnalité, plus sereine, et aussi à sa stratégie (il est l’homme d’Etat, père de la Nation, qui rassure par son calme et sa réflexion). Mais à quelques reprises dans le débat et par quelques expressions peu sympathiques, ce retrait a pu passer pour du mépris et de la condescendance. On a trop senti, à certains moments, qu’il se sentait au-dessus de cette mêlée politicienne.
La deuxième, c’est Nathalie Kosciuzko-Morizet. Autant, elle avait semblé porter une nouvelle énergie lors du précédent débat, autant lors de celui-ci elle est apparue trop confuse. Elle est entrée dans une compétition « anti-Sarkozy » avec Bruno Le Maire qu’elle a perdue, pour la bonne raison qu’il avait été le premier à tirer. Elle paraissait, du coup, lui courir après.
Le troisième qui a dû décevoir tous ceux qui avaient trouvé formidable sa « fraîcheur » lors du premier débat, parce qu’ils découvraient un candidat aux convictions fortes sans s’être intéressés vraiment à ses idées (inscrites dans une lignée plus réactionnaire que conservatrice), c’est Jean-Frédéric Poisson. Cette fois : il semblait un peu hors sol.
3. D’un point de vue médiatique, c était évidemment les passe d’armes entre Nicolas Sarkozy et ses anciens ministres. Pour autant, deux autres moments m’ont particulièrement intéressé. En premier lieu, celui sur François Bayrou. Face aux attaques de Nicolas Sarkozy, François Fillon et Jean-François Copé s’en sont mieux tiré qu’Alain Juppé en relativisant l’importance qui lui est donnée par rapport à l’importance des enjeux de l’élection présidentielle. En second lieu, les échanges sur les banlieues étaient très décevants parce qu’ils ont montré la pauvreté de la réflexion politique à droite sur ces questions.
4. Le débat était déjà plus stimulant que le premier, trop technique (ce qui accordait naturellement un avantage à Alain Juppé qui bénéficie dans l’opinion d’une très bonne image de compétence). Les échanges portaient cette fois plus sur les questions politiques, ce qui accorde de fait un petit avantage à Nicolas Sarkozy. Mais c’était important d’en parler : la droite (comme la gauche d’ailleurs) a du mal à définir son positionnement idéologique depuis plusieurs années.
Article publié dans L’Opinion le 4 novembre 2016
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