Ma chronique du 24 octobre, dans L’Opinion
Le 14 octobre, Mgr Pontier, président de la Conférence des évêques de France, expliquait dans un quotidien qu’il est indispensable de « réfléchir au concept de nation, de pays, dans une société qui est devenue, qu’on le veuille ou non, pluraliste, plurielle ». Ce constat semble partagé par une majorité de Français : 54 % considèrent même que « la France doitdevenir une société multicuturelle » (Ifop-Paris Match : « Les Français, regards sur leurs identités et valeurs », 2016). Et plus particulièrement les plus jeunes, les plus pauvres, la gauche mais… pas les catholiques.
Le sujet n’est pourtant pas évident dans un pays qui se définit comme une « République indivisible », ce que rappelaient déjà les constitutions de 1791, 1793, 1795, 1799, 1848 et 1946 ! Le terme renvoie à l’expression de la souveraineté, qui s’exprime dans un monopole : celui de la volonté générale. Il fait également référence à l’histoire de la construction nationale française, qui ne conçoit le peuple que d’une manière : « composé de tous les citoyens français sans distinction d’origine, de race ou de religion », comme l’a rappelé le Conseil constitutionnel en 1991.
Dans l’histoire française, la fonction régulatrice de l’Etat a été d’œuvrer, de manière centralisée, à l’unification du peuple et de la société, depuis Philippe Le Bel jusqu’au général de Gaulle en passant par la Troisième République. Dans ce cadre, il n’y a pas de place pour accorder des droits spécifiques aux minorités : le peuple est unique, le droit et la politique qui s’y appliquent aussi et ils se décident par le haut. La République française s’est pensée sur le mode du centralisme unificateur et monopolistique.
La République américaine, à l’inverse, a été imaginée sur un mode radicalement différent : celui de la diversité atomisée et de la concurrence entre les communautés. Les Pères Fondateurs (dont James Madison, qui l’exposait dans le Federalist Paper n° 10) l’ont expressément voulu : ils y voyaient un moyen d’empêcher un groupe – religieux notamment – de dominer les autres. Dans ce pays, l’unité s’est faite « par le bas », dans la pluralité du marché. La République américaine est, dans son essence, « une et divisible » (Thierry Chopin, La République une et divisible, Plon, 2002).
Répartir la rente équitablement. De ces deux visions républicaines divergentes ressortent deux régulations publiques et sociales radicalement opposées. Dans une société multiculturelle de concurrence, comme le sont les Etats-Unis, le rôle de la puissance publique est d’assurer l’équité de la compétition entre les communautés ; par exemple, dans son volet interventionniste, en promouvant la discrimination positive. Dans cette société de marché, la redistribution étatique est minimale.
Dans une société monopolistique, comme la nôtre, au contraire, l’Etat contrôle, régit et intervient pour maintenir l’unité sociale. Sa fonction de redistribution garantit que la rente est équitablement répartie. Dans une société de marché, la division est un bienfait, y compris au niveau des institutions. Dans la société française, l’unité est la règle et cela se traduit parfaitement dans l’organisation de la Ve République.
Aucun de ces deux modèles n’est immuable. Aucun n’est parfait. Mais la transition de l’un à l’autre implique un renversement profond de perspectives : c’est le passage de la société administrée à la société de marché, qui bouleverse le fonctionnement économique, politique et social. A regarder le débat présidentiel, on reste très loin de ces enjeux.
Erwan Le Noan, consultant, est membre du conseil scientifique de la Fondation pour l’innovation politique.
Répondre / Commenter