Dans un papier publié le 13 mai, Jean-Marc Vittori (Les Echos) discute de notre note sur la méthode de la réforme. Le papier est publié dans la version papier des Echos le 17 mai
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Les chercheurs ont beaucoup travaillé sur les meilleurs moyens de faire adopter des réformes économiques. Les gouvernants français connaissent fort bien leurs travaux : ils appliquent toutes leurs leçons. Mais à l’envers.
Carton plein! Toutes les règles pour réussir un échec ont été scrupuleusement respectées. Ledit échec est donc magistral. Une loi El Khomri (la pauvre!) qui ne réglera aucun des problèmes qu’elle devait régler. Un Code du travail encore plus complexe. De rares libertés concédées mais aussitôt ficelées. Des partenaires sociaux tous excédés. Une majorité déchirée comme jamais sous la Ve République. Encore une fois, la France vient de rater en beauté une réforme majeure. Oui, décidément, de la belle ouvrage…
L’histoire est cependant rassurante. Elle montre que nos gouvernants sont devenus des spécialistes incontestés de « l’économie politique de la réforme économique », ce domaine des sciences sociales où des chercheurs s’efforcent de comprendre comment le pouvoir politique peut faire passer des mesures bénéfiques qui se heurtent d’abord à des blocages. Ils ont visiblement dévoré la série de rapports sur la question publiés depuis plus d’une décennie par l’OCDE, le forum de réflexion et d’action des pays avancés, où l’on apprend notamment que des équipes au pouvoir peuvent à la fois réussir des réformes, relancer leur pays et gagner les élections. Il n’auront donc pas besoin de lire l’utile synthèse que vient de publier le cercle de réflexion Fondapol (1), contrairement aux aspirants candidats à l’élection présidentielle. Ils appliquent déjà parfaitement les préceptes de cette économie politique. Dommage qu’ils le fassent… à l’envers. La preuve par sept.
1. Inutile de travailler avant l’élection ! C’est du temps perdu. Mieux vaut faire campagne, aller serrer des mains sur les marchés, bricoler un programme entre deux réunions sans prendre le temps auparavant de forger une vision d’ensemble. Si Bill Clinton avait fondé un think tank une décennie avant de se présenter à l’élection présidentielle américaine, c’est parce qu’il était un yankee mal dégrossi. En France, les futurs gouvernants savent ce qu’il faudra faire une fois élus. Compte tenu de leur science infuse, il serait futile d’écrire des textes de loi, voire des décrets d’application, avant le scrutin.
2. Inutile de chercher un mandat d’action auprès des électeurs ! Jacques Chirac est le dernier homme politique français qui a remporté des élections nationales, en 1986, sur un programme clair qu’il a ensuite mis en oeuvre. Mais il a perdu l’élection suivante. Du coup, il s’est à nouveau présenté en 1995 en promettant tout et son contraire, avant de faire encore autre chose après la victoire. Elu sur la promesse vague de la rupture, Nicolas Sarkozy, lui, a surtout rompu le lien de confiance avec les Français. Quant à François Hollande, ce n’est pas lui faire injure de rappeler qu’il ne s’est pas fait élire sur l’engagement de baisser les charges des entreprises ou de libéraliser le Code du travail.Ce serait un comble de s’abaisser à faire comme les Anglais, comme David Cameron qui s’était présenté devant les électeurs avec l’idée de « Big society » déclinée en toute une série d’actions concrètes, ou Tony Blair qui avait gagné en 2001 sur la base de cinq engagements majeurs dont l’application a changé le pays.
3. Inutile de travailler la communication ! Parlons plutôt de comm’: quelques conseillers aux chaussures bien cirées et l’appui d’une ou deux agences pendant trois semaines feront l’affaire. L’élite politique française est trop brillante pour passer des jours à formuler des messages. Ou des mois à montrer que le non-changement a un coût colossal, qu’il est injuste, qu’il empêche l’émergence de nouvelles solutions, etc.
4. Inutile de s’appuyer sur des travaux de recherche ! De toute façon, les économistes ne sont jamais d’accord entre eux, on l’a encore vu avec la loi El Khomri. Depuis la disparition du Commissariat au Plan, il n’existe aucun lieu en France où se forge une base commune de réflexion économique, à part peut-être sur un thème précis au Conseil d’orientation des retraites. L’évaluation des politiques publiques est un immense chantier qui commence à peine. En 2007, Nicolas Sarkozy avait bien songé à demander à un comité d’évaluer les expériences de mise en oeuvre locale du revenu de solidarité active (RSA)… mais il a décidé la généralisation du dispositif avant que ledit comité ait pu conclure quoi que ce soit.
5. Inutile de songer aux perdants ! De toute façon, le gouvernement espère leur marcher dessus sans même qu’ils s’en rendent compte. Ou leur accorde parfois tellement de compensations qu’ils deviennent des gagnants au détriment de la réforme (cas des retraites SNCF en 2007). Jamais il n’évalue sérieusement les résistances en amont, jamais il ne cherche ensuite les moyens de les réduire.Alors que la plupart des réformes font des perdants résolus à ne pas se laisser faire, et des gagnants plus nombreux mais moins impliqués.
6. Inutile de penser au calendrier ! Calendrier politique, d’abord: beaucoup de réformes majeures réussissent dans les quinze premiers mois qui suivent les élections, quand la légitimité du pouvoir est la plus élevée, et presque toutes avant la mi-mandat. Calendrier économique ensuite : une libéralisation du licenciement ou une hausse d’impôts n’a pas du tout le même effet quand l’activité accélère ou au contraire qu’elle s’effondre. Les économistes du FMI insistent sur ce sens du rythme dans leurs dernières « Perspectives économiques » . Séquençage, enfin : certaines réformes doivent se faire avant d’autres. Les gouvernants français semblent au contraire se jeter à l’eau au gré des péripéties politiciennes, voire au petit bonheur la chance. C’est normal, ils sont tellement bons.
7. Inutile, enfin, de s’inscrire dans le temps long, de persévérer, de revenir là où on a auparavant échoué. Après moi le chaos, le Front National ou la révolution.
(1) « Gouverner pour réformer : éléments de méthode » , par Erwan Le Noan et Matthieu Montjotin, note Fondapol, mai 2016. Disponible sur http://www.fondapol.org
Jean-Marc Vittori
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