Plutôt que de verrouiller l’élection présidentielle, il faut disrupter l’offre politique

Voici le texte d’un papier paru en dernière page de L’Opinion le 1er avril dernier

Plutôt que de verrouiller l’élection présidentielle, il faut disrupter l’offre politique

Erwan Le Noan : «Les partis politiques français mourront s’ils ne se renouvellent pas. Ils dépérissent déjà : les adhérents les fuient, leur image se dégrade. Pour se protéger de leur déchéance, ils se constituent en cartel»

Erwan Le Noan: «De petites touches en réformes marginales, le marché politique reste fermé, protégé par des barrières institutionnelles qui se renforcent. Les acteurs en place assurent qu’aucun nouvel entrant ne viendra les perturber»

Erwan Le Noan est consultant, membre du conseil scientifique de la Fondation pour l’innovation politique

Lorsqu’une entreprise ou une industrie peine à préserver sa rentabilité, plusieurs stratégies s’offrent à elle : certaines sont pro-concurrentielles et conduisent à réduire les coûts (en délocalisant la production) ou innover pour mieux satisfaire la demande (ce que font de nombreux opérateurs de la distribution face à la disruption numérique) ; d’autres, au contraire, visent à étouffer la compétition dans l’œuf soit en organisant un cartel (les exemples abondent dans les décisions de sanction de l’Autorité de la concurrence), soit en réclamant une réglementation protectrice (comme le font les taxis).

Ce qui est vrai des activités économiques l’est également de la vie politique. Il suffit d’y transposer le prisme de l’analyse concurrentielle : lorsque nos élus voient fondre leur demande électorale, au lieu de renouveler leur offre et de l’enrichir pour conserver leurs consommateurs (1), ils choisissent de les rendre captifs et de consolider leurs rentes en étouffant toute compétition. La majorité actuelle s’y emploie depuis 2012 dans une entente tacite avec l’opposition, en multipliant les barrières à l’entrée du marché politique : le cadenas qui la ferme est solidement verrouillé. Un nouveau tour de clé vient d’ailleurs d’être encore donné, ce 24 mars, par l’Assemblée nationale.

Premier verrou : celui du financement, resserré en 2013

Pour qui veut se lancer dans la vie politique, l’un des premiers défis est de trouver un financement : une campagne politique coûte cher. Sauf à disposer d’une fortune personnelle, il faut se tourner vers les banques ou des donateurs. Les premières sont plutôt frileuses : elles ne prêtent qu’aux riches et donc souvent qu’aux seuls candidats assurés de dépasser le seuil de 5 % des suffrages, qui garantit le remboursement public de la campagne ; en pratique, elles financent donc les partis déjà en place.

La générosité privée est limitée aux individus, les entreprises ayant été exclues depuis les affaires des années 1980 et 1990. Or, cette voie est semée de barrières, que la majorité de gauche a renforcées.

Jusqu’à une loi de 2013, un particulier pouvait donner jusqu’à 7 500 euros à chaque parti de son choix – d’où la multiplication des « micropartis ». Depuis, les dons sont plafonnés à 7 500 euros par an, par personne et par parti. En clair, un milliardaire doit répartir cette somme entre les différents partis, là où auparavant il pouvait assurer le financement de plusieurs, quitte à donner à un nouvel entrant sympathique. L’émergence d’un mouvement national ne peut donc compter que sur ses propres moyens.

Appel numérique au peuple. Le financement des « gros » donateurs n’est pas le seul à être contraint. En France, le crowdfunding des campagnes est exclu : la réglementation interdit qu’aucun intermédiaire ne se glisse entre le donateur et le parti bénéficiaire. Exit, l’appel numérique au peuple !

Pour les partis en place, cette législation n’est pas vraiment une contrainte : s’ils se privent comme les autres de financements privés, ils reçoivent, eux, des versements de l’Etat. Ils bénéficient ainsi de dotations publiques calculées en fonction de leurs résultats aux législatives et de leur nombre de parlementaires. Le Parti socialiste a ainsi ramassé 25,5 millions d’euros d’argent public en 2014, l’UMP 18 millions et le Parti communiste près de 3 millions (2). L’élection d’un député étant, dans le scrutin majoritaire à deux tours, réservée aux grands partis et leurs alliés, un nouvel entrant n’a aucune chance de bénéficier de cette manne.

Pour compléter ces revenus, les partis collectent des cotisations auprès de leurs élus, assises sur leurs indemnités, également versées par la collectivité : près de 13 millions d’euros pour le PS, 1,6 million pour l’UMP et 10,7 millions pour le PCF. Impossible pour un nouveau mouvement de concurrencer ces sommes, sauf à obtenir d’un coup des milliers d’élus locaux.

Au total, le financement des particuliers est marginal dans la vie politique française : en 2014, il représentait 3,6 % des recettes du PS et 4,6 % de celles de l’UMP…

L’effet concurrentiel est désastreux : le marché est verrouillé pour les nouveaux entrants alors que les insiders bénéficient d’une rente assurée par le financement public.

Second verrou : la candidature présidentielle, vissé en 2016

Le 24 mars, l’Assemblée nationale, a élevé de nouvelles barrières sur la voie présidentielle. Si par hasard un outsider parvenait à se hisser dans le paysage médiatique, de nouveaux obstacles institutionnels (adoptés par 11 députés sur 20 présents !) viendront lui barrer la route.

Au détour d’une proposition de loi organique promettant la « modernisation » de l’élection présidentielle, le PS a proposé d’imposer deux nouveaux obstacles politiciens. Le premier concerne les « 500 signatures » : désormais, les « parrains » devront envoyer eux-mêmes leur soutien au Conseil constitutionnel, alors que jusqu’à maintenant ce sont les candidats qui le faisaient (ironie de cette « modernisation », l’envoi par email sera interdit, la voie postale étant seule admise). La réforme semble anodine mais a un but très clair : ralentir les candidatures alternatives, dont celles des « petits » partis de gauche.

La seconde contrainte imposée par la nouvelle loi est la fin de l’égalité du temps de parole entre les candidats dans les médias. Le texte y substitue un principe d’« équité », mis en œuvre par le CSA : celui-ci devra veiller à la bonne « représentativité » de chaque candidat, laquelle sera « appréciée en fonction des résultats obtenus aux plus récentes élections », « des indications d’enquêtes d’opinion » et de « la contribution de chaque candidat à l’animation du débat électoral ». Le droit public aura connu des normes plus fermes et précises… L’effet de cette disposition est assez prévisible : les « petits » candidats verront leur temps de parole réduit.

Disrupter l’offre politique !

De petites touches en réformes marginales, le marché politique reste fermé, protégé par des barrières institutionnelles qui se renforcent. Les acteurs en place assurent qu’aucun nouvel entrant ne viendra les perturber : cela facilite leurs activités, dans ce qu’elles ont de plus utiles à la Nation (le travail législatif), mais aussi en ce qu’elles assurent leur réélection en distribuant de l’argent public (la « réserve parlementaire »). Cela ne les encourage nullement à se soucier de la demande électorale : ils n’innovent ni sur le fond, ni sur la forme, assurés du maintien d’un équilibre en leur faveur.

L’égalité parfaite n’assure pas une concurrence saine : comme dans la vie économique, le succès des uns peut être le reflet d’une préférence des consommateurs – électeurs – et non d’une injustice

Concurrence administrée. La concurrence politique reste finalement fortement administrée : c’est l’Etat qui finance les partis et candidats qui sont autorisés à animer la compétition électorale et qui encadre la façon dont elle doit s’exercer. Les pistes de réforme proposées ici ou là restent souvent enfermées dans ce carcan : réguler le temps de parole de façon purement égale entre les candidats ne permet pas une compétition équitable, si cela revient à défavoriser le candidat populaire – insider ou outsider, au profit de l’inconnu ennuyeux ; imposer des règles rigides de financement n’est pas juste pour celui qui est capable de soulever les foules et leur argent. L’égalité parfaite n’assure pas une concurrence saine : comme dans la vie économique, le succès des uns peut être, fort simplement, le reflet d’une préférence des consommateurs – électeurs – et non d’une injustice. Il ne devrait, en tout cas, pas être révélateur de celle des acteurs en place.

Une réforme institutionnelle devrait viser à lever, largement, les barrières à l’entrée du marché politique pour que la concurrence en son sein puisse se livrer de manière efficace et stimulante. Si elle ne le fait pas, le marché s’en chargera. Les monopoles artificiels finissent par mourir : certains lentement, d’autres de façon brutale, « disruptés » par des nouveaux entrants créatifs. Comme eux, les partis politiques français mourront s’ils ne se renouvellent pas. Ils dépérissent déjà : les adhérents les fuient, leur image se dégrade. Pour se protéger de leur déchéance, ils se constituent en cartel et capturent le droit, pour ériger des forteresses autour de leurs rentes. Ils pourraient en réalité précipiter ainsi leur disparition et leur disruption. Le risque est que celles-ci soient brutales : l’émergence des populismes de toutes sortes, du Front national à Jean-Luc Mélenchon, devrait nous inquiéter.

(1) L’Opinion : Pourquoi la droite se prépare à des défaites de long terme, 5 janvier 2016

(2) Source : Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques, JO du 31 décembre 2015

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