Les « Trente malthusiennes » ou la France malade de la stagnation administrée (L’Opinion)

Mon papier dans L’Opinion du 25 août 2015 (LIEN)

La métaphore de Nicolas Sarkozy comparant les migrants à une « fuite d’eau » faisait écho à un sentiment partagé par de nombreux Français. Les réactions indignées qui s’en sont suivies, à gauche comme à droite, ont été fidèles aux postures politiciennes. Personne n’a pourtant relevé que le propos le plus déroutant et le plus révélateur des maux de l’économie nationale n’était pas cette comparaison, mais les justifications que l’ancien Président donnait à la nécessité de contrôler l’immigration : « Il n’y a plus d’argent, plus d’emplois, plus de logements ». Ces explications sont révélatrices d’une mentalité qui nous paralyse : la France a fait le choix de partager ce qui lui reste en vase clos, plutôt que de créer de nouvelles richesses pour se développer ; elle s’est engoncée dans la paralysie du malthusianisme économique et ses conséquences sociales néfastes.

 

Le choix déprimé du malthusianisme économique et le renoncement à la croissance

Ce malthusianisme économique est une marque du triomphe de l’esprit de défaite et de rationnement sur celui de conquête et de création. Par peur de l’inconnu et du risque, la France a tourné le dos au dynamisme. Jamais les politiques ne se sont sérieusement penchées sur les manières de faire croître par la performance, l’innovation et la libre concurrence. Elles ne cherchent plus à inventer, encore moins à se surpasser. Elles ont privilégié la stabilité rigide à la mobilité et à la « fluidité ».

Domaine par domaine, les exemples abondent, à commencer par la politique de l’emploi. Le credo du partage du travail en est la pire illustration : puisque la France ne parvient plus à créer de l’emploi, elle s’est résolue à le diviser, comme si elle pouvait en créer artificiellement. La frénésie réglementaire, dans le numérique notamment, est fille de la même philosophie : déçue d’un marché dans lequel elle n’a pas permis à ses entreprises de percer, la France ne cesse d’envisager les moyens de capter arbitrairement des parts d’activité. A défaut de croître, elle répartit. Le malthusianisme explique aussi notre rapport angoissé à l’international : l’étranger, immigré ou commerçant, est perçu comme une menace susceptible de prendre une part de la richesse nationale.

Le drame de notre pessimisme est là : la France ne vit plus que dans la limitation et, pis encore, s’est auto-convaincue que le gâteau était à jamais privé de grandir. Les politiques se sont muées en gestionnaires de pénurie : elles ne cherchent pas à favoriser la création, elles administrent la redistribution. Il n’est plus question de dépasser les problèmes, simplement de mieux les répartir. Comment, dans ce contexte, peut-on renouer avec l’espoir d’un avenir meilleur ?

 

Le malthusianisme redistributif, moteur d’une société égalitaire et injuste

Dans un système malthusien, la stabilité sociale est indispensable : les ressources étant perçues comme limitées, l’ascension des uns ne peut se faire qu’au détriment des autres. Dans ce contexte, le mouvement est un risque, la stabilité un gage de sécurité. La société française est ainsi devenue toujours plus figée, celle de l’OCDE où l’origine sociale est la plus déterminante dans la réussite des élèves…

Le renoncement malthusien a induit une autre politique : la lutte obsessionnelle contre les inégalités. Le système économique et social ne pouvant plus offrir d’opportunité de mobilité, il se doit, au moins, de garantir que tout le monde évolue entre des bornes restreintes. Au lieu de concevoir la richesse comme une stimulation, un encouragement à l’innovation sans cesse contestable, la politique égalitariste a entrepris de décapiter les succès fulgurants. Au lieu de favoriser la concurrence et l’émulation, elle a au contraire vanté l’« égalité des places ».

Conjuguant ses efforts, le malthusianisme redistributif s’est assuré de réduire le champ des réussites tout en figeant la hiérarchie sociale : la France est devenue un pays égalitaire, mais injuste.

 

Le complexe fiscalo-administratif de l’Etat providence, étouffé par sa dette

Ce régime malthusien ne pouvait tenir qu’à condition de faire pleinement fonctionner la cheville ouvrière de la redistribution qu’est l’Etat-providence. Celui-ci a multiplié les impôts : la pression fiscale est supérieure à 40 % du PIB depuis 1982 et alimente la dynamique égalitariste (la taxe à 75 % du président Hollande en est l’illustration parfaite). A l’autre bout de la machine redistributive, l’Etat-providence a multiplié les prestations sociales et les subventions en tous genres, sans évaluation ; qu’importe qu’elles ne luttent pas contre le chômage ni ne promeuvent la compétitivité, ce n’est pas leur objet réel. La dépense publique ne remplit pas une fonction économique, elle répartit les situations.

L’activité législative s’est accrue, motivée par une dynamique malthusienne interventionniste en tout. Uniforme en vertu du principe d’égalitarisme, et donc généralement inadaptée à la réalité, la norme est contournée par une multiplication de dérogations et d’exceptions. La complexité s’accroît et la loi est toujours plus inintelligible et illisible.

Gargantuesque et labyrinthique, l’Etat providence s’est mué en un complexe fiscalo-administratif omnipotent. Tant et si bien que son inefficacité l’a emporté sur son rôle de solidarité : alors qu’il devrait venir en aide aux plus défavorisés, chacun constate chaque jour qu’étouffé par sa dette, il engloutit la richesse nationale sans atteindre cet objectif minimal.

 

La division sociale et la communautarisation, enfants naturels du malthusianisme

Cette incapacité publique – non la mondialisation – suscite la guerre de tous contre tous. Quand le système redistributif s’enraie, chacun se bat – légitimement – pour récupérer les miettes de la répartition : ce que le voisin touchera est autant que l’on n’aura pas ; l’étranger est une menace. Face à l’insécurité et conscients de l’impossibilité de croître collectivement, les citoyens privilégient la confiscation et le contrôle public (sur les entreprises, les « assistés », etc.). La défiance prospère. Le sentiment de dépossession fleurit. Cette faillite, fille immédiate du malthusianisme, est un terreau extraordinaire pour les populismes de toutes sortes.

La déroute de l’Etat-providence n’est pas qu’un échec économique : elle nourrit une profonde crise sociale. En quelques décennies, le système public était parvenu à remplacer les solidarités traditionnelles antérieures (églises, syndicats…). Quand il s’effondre, il laisse les citoyens seuls face à leurs difficultés. Du côté positif, les jeunes créent des start-up et glorifient le marché dans l’uberisation et l’économie « collaborative ». Mais les seuls refuges qui subsistent restent la famille et la communauté (qu’elle soit liée à l’islam ou au renouveau du militantisme catholique). Progressivement, les Français se replient sur leurs cercles de proximité, comme autant d’îlots qui se croisent sans se fréquenter. L’égoïsme et l’incivilité prospèrent. Le projet commun est toujours plus ténu. L’échec du malthusianisme conduit directement à la fragilisation de la démocratie.

 

L’impossibilité de la réforme, blocage mortel

Dans une France figée par des années de malthusianisme, chacun perçoit ce qu’une réforme pourrait lui faire perdre, tout en sachant qu’il lui sera impossible de saisir d’autres opportunités par ailleurs : aucune victime ne trouvera de compensation par le marché et l’Etat ruiné ne pourra rien offrir. Le mouvement étant synonyme de déstabilisation, la société se bloque. La réforme est morte.

 

Le souffle concurrentiel d’une économie plus fluide

Le malthusianisme redistributif a conduit la France à l’échec. Porté par une idéologie de gauche, il a été repris par la droite. Il nous enfonce chaque jour un peu plus dans le marasme : François Hollande a été élu aussi parce qu’il a su habilement jouer de ses pires motivations.

La France n’est pourtant pas condamnée à la déroute. Les candidats de 2017 devraient se préparer à la dépasser, en définissant la méthode qui organisera la transition vers un modèle économique dynamique, entrepreneurial, méritocratique et stimulant, plus fluide, qui redonnera aux Français la capacité de maîtriser leur destin. Ils n’y parviendront que s’ils parviennent à rétablir leur crédibilité, qui reposera notamment sur leur capacité à montrer qu’ils agiront de façon déterminée, en poursuivant un cap clair et ferme. S’ils restent enfermés dans un vague bricolage du malthusianisme redistributif, ils courront à leur échec.

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