Réformes : Manuel Valls ne doit pas se résigner

Mon papier publié le 6 octobre 2014 dans Les Echos (LIEN)

Dans sa déclaration de politique générale le 16 septembre, abandonnant le ton résolument offensif et positif du précédent d’avril, Manuel Valls a enchaîné les propos défensifs, décrivant son programme par la négative. A la fougue d’un gouvernement de printemps, succède la résignation d’un discours d’automne. Le Premier ministre ne porte plus l’ambition d’un projet de société, il s’est résolu à ne présenter que des rustines pour amender le statu quo ; le vibrant réformiste a pris l’habit terne du défenseur du « modèle social » français. C’est pourtant d’une inversion totale de modèle dont la France a besoin.

Répondant aux déclarations du président du Medef, Pierre Gattaz, Manuel Valls a donné des gages de satisfaction facile aux agitateurs de son parti : selon lui, notre modèle social« n’a pas vécu, il n’est pas dépassé ». Mieux, ce serait « une part de notre identité ». Si tel est le cas, cette dernière doit être marquée par une pulsion mortifère.

Financièrement, le modèle social français est au bord de la ruine. Depuis 1974, les finances publiques affichent systématiquement un solde négatif : à l’automne, le Parlement adoptera le 41e budget déficitaire. La dette publique est passée de 20 % du PIB en 1978 à près de 94 % aujourd’hui. Dans le même temps, le taux des prélèvements obligatoires a crû de 37 % à 45 % du PIB. Le financement des retraites n’est pas assuré et la Sécurité sociale ne maîtrise pas ses dépenses.

Sur le marché du travail, les résultats sont tout aussi probants. Le taux de chômage a été supérieur à 8 % pendant 103 trimestres, sur les 121 qui séparent le deuxième trimestre de 1984 du deuxième de 2014. Celui des jeunes est supérieur à 10 % depuis 1979 et à 15 % depuis 1982 (trente-deux ans !). En 2014, le nombre de chômeurs de catégorie A avoisine les 3,4 millions de personnes. Dans son étude annuelle sur l’emploi et les salaires, l’Insee vient de montrer que le marché du travail est désormais « un modèle segmenté, où les emplois stables et les emplois instables forment deux mondes séparés ».

Dans son allocution, Manuel Valls a expliqué à raison que « le grand dessein de la République, c’est l’égalité des possibles ». Pourtant, la France décroche dans les classements internationaux, produisant chaque année 150.000 élèves en échec. La réussite est déterminée dès l’âge de six ans (seuls 9 % des élèves qui redoublent leur CP ont le bac) et fortement corrélée aux origines sociales : 72 % des enfants d’enseignants et 68 % des enfants de cadres obtiennent un bac général, contre 20 % des enfants d’ouvriers et 9 % des enfants d’inactifs. D’après l’OCDE, nous sommes même le pays où l’origine sociale prédétermine le plus la réussite scolaire.

Le « modèle social » français est donc outrageusement coûteux et produit de l’échec social. Sa logique profonde est celle de l’exclusion : les normes érigées d’année en année ont protégé ceux qui se trouvaient déjà dans l’emploi stable, public ou privé, construisant des forteresses économiques. La rigidité sclérosante a engendré de la flexibilité précaire à ses marges : pour éviter d’avoir recours au CDI, trop cher, trop périlleux, 90 % des embauches se font en CDD.

Le tout s’est fait dans un contexte normatif digne d’un labyrinthe kafkaïen, la production de règles uniformes suscitant naturellement la multiplication des exceptions et dérogations quand leur application se heurte à la réalité. La complexité est devenue à ce point la norme que l’on se glorifie quand un régime juridique simple comme l’autoentrepreneuriat voit le jour.

La France doit inverser son modèle ; le sien n’est plus adapté, ni à la société contemporaine ni à l’économie moderne. La simplicité doit devenir la règle et la complexité l’exception : c’est au niveau local que doivent se négocier les modalités de mise en oeuvre des principes normatifs communs. Vrai sur le marché du travail, cette logique l’est également dans l’éducation ou le domaine social. Dans ce cadre décentralisé, atomisé, pourront prospérer les initiatives, créant de l’activité, de l’emploi et de la réussite sociale. Une économie souple engendre une société fluide. C’est vers ce nouveau modèle social qu’il faudrait tendre, au lieu de tenter de ranimer le cadavre du précédent.

Erwann Le Noan

Erwan Le Noan est consultant en stratégie, spécialiste de concurrence, responsable de Trop Libre, le média de la Fondapol.

En savoir plus sur http://www.lesechos.fr/idees-debats/editos-analyses/0203782650616-reformes-manuel-valls-ne-doit-pas-se-resigner-1050237.php?FSSYK9ZPAywGrQtc.99

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