Michael Sandel, philosophie à la réputation mondiale, vient de publier What Money Can’t Buy – the Moral limits of Markets, qui fait l’objet d’un dossier intéressant du dernier numéro de la Boston Review (qui comporte plusieurs réponses).
Michael Sandel expose sa thèse longuement en partant d’une interrogation : il y a-t-il des choses que l’argent ne peut acheter ? Pour y répondre, il présente quelques exemples : l’amitié, mais aussi le discours du témoin de mariage (qui perd de sa valeur lorsqu’on apprend qu’il a été acheté sur internet), les cadeaux (pourquoi ne pas se contenter de donner du cash ?) et l’amour. Il y a donc selon lui deux limites majeures aux marchés : l’équité (fairness ; qui interroge les termes de l’échange) et la corruption, qui interroge la morale des biens échangés et sur laquelle Sandel insiste. Le marché corrompt certaines valeurs, certains actes. Il y a des actions que l’on fait, qui perdraient de leur valeur si elles étaient achetées, payées. Aussi, pour renouveler la vie civique, Michael Sandel estime qu’il faut redonner du sens et de la vigueur à des valeurs un peu « hors-marché », telles que l’altruisme, la générosité, la solidarité et l’esprit civique.
La première réponse est celle de Richard Sennett, un autre monstre de la philosophie contemporaine. S’il partage globalement le point de vue de Sandel, il remarque toutefois que celui-ci oublie que l’économie pense des sujets comme le bonheur (voir les travaux de Layard). Selon Sennett, le triomphe de la gauche politique sur la gauche sociale au XXème siècle a conduit à l’abandon des solutions de cette dernière. Il existe toutefois un héritage intéressant de cette pensée solidaire dans les pays Scandinaves, où l’action des communautés locales est forte et dynamique (« l’Etat central fournit les fonds et la communauté débat et décide de leur utilisation »). Rappelant les travaux de Saul Alinski, Sennett en appelle en réalité à l’empowerment – ce qui n’est pas sans rappeler le livre Red Tory qui a inspiré… les conservateurs britanniques.
Parmi les autres contributions, il y celle de Herbert Gintis, qui souligne lui aussi, mais avec plus de vigueur que Michael Sandel oublie une grande partie de la pensée économique et qui relève que « l’idée que certains biens de valeurs ne devraient être ni achetés ni vendus sur un marché est connue depuis des siècles ».
Surtout, il y a le commentaire de John Tomasi qui a publié le très intéressant Free market fairness, dont la volonté est de démontrer que les marchés sont équitables et surtout qu’on peut parvenir à l’équité par le marché, formant un compromis entre les high liberals (tendance Rawls) et les lbertarians (tendance Rothbard ou aussi American Enterprise qui consacre même un site à ce débat Values & Capitalism). Ce débat, sur l’importance de la justice sociale (dont j’ai parlé ici et ici) est au cœur du mouvement des Bleeding heart libertarians. Selon Tomasi, le critère (d’inspiration rawlsienne) doit être le suivant : « des libertés fondamentales étant protégées, des inégalités sont acceptables si elles bénéficient au plus pauvre ».
Après le débat sur les inégalités, purement économique, c’est un débat sur la moralité du marché qui émerge progressivement.
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